Le philosophe Yves Michaud parle d’art contemporain au début de Ceci n’est pas une tulipe, d’urbanisme à la fin, le tout saupoudré de reportage d’actualité, l’ouvrage étant paru à l’occasion de l’installation à Paris du « cadeau » de Jeff Koons intitulé Bouquet of Tulips.
Sur la partie « reportage d’actualité », je n’ai pas grand-chose à (re)dire. L’ouvrage n’a pas à pâtir de son statut d’œuvre de circonstance, et peut-être que si dans cinquante ans des gens se penchent sur cette chose qui jonche les jardins des Champs-Élysées, ils seront contents de retrouver dans un seul volume des informations autrement disséminées dans la presse, et de tomber sur des liens que l’ouvrage établit entre ça et la société de 2020.
Sur la partie « urbanisme », je suis tout à fait d’accord avec l’idée qu’« à travers le cas d’un monument sans signification, encombrant et inutile, c’est toute une politique de transformation de la ville qui se dévoile » (p. 71). Ce qui est encore mieux, c’est que l’auteur la défend de façon convaincante, tout comme il démontre que « l’art est devenu du mobilier urbain et que cette sorte de mobilier urbain sert de couverture à la dérive générale de l’espace de la ville » (p. 101).
Il me semble que n’importe piéton ayant fréquenté le centre d’une grande ville européenne a été confronté à cette impression de circuler dans un musée à ciel ouvert ou dans une galerie marchande à l’air libre. (Le musée des beaux-arts de la ville où je vis a son café et la façade du bistrot où j’avais mes habitudes du temps où boire un café en terrasse était légal s’orne d’une œuvre d’art contemporain. Inutile en revanche de chercher un arbre dans la principale rue du centre-ville et dans toutes celles qui la croisent.)
L’auteur analyse assez bien – quoique succinctement – cette dérive, comme il analyse cet enlaidissement général des villes qui n’est pas qu’une question de goût.


Quant à la partie « art contemporain » de Ceci n’est pas une tulipe, si je lui trouve un défaut, c’est d’être encore trop charitable ! En art, je trouve un intérêt à 4′33″ de John Cage ou au Carré blanc sur fond blanc de Malevitch, je peux même défendre la Fontaine de Duchamp si on me pousse un peu, – mais Jeff Koons, c’est au-delà de mes forces !
Yves Michaud le dit à sa manière : « Un poing fermé tenant une poignée de onze trous du cul couleur pastel montés sur tige en guise de monument à des victimes d’attentat, on aura du mal à pousser la dérision plus loin » (p. 37). Et son propos m’intéresse quand il évoque les « trois transformations récentes du luxe » (transformation en confort, massification, développement du luxe d’expérience) depuis le XIXe siècle, sachant que « l’art a connu à peu près les mêmes évolutions » (p. 77, 78).
Mais je me serais acharné, à proportion du désagrément visuel infligé par ce Bouquet, de la pauvreté conceptuelle véhiculée par Puppy ou de l’insignifiance intellectuelle de Balloon Dog !
Parce qu’au fond, il n’y aurait pas eu de problème, ni de livre, si l’œuvre d’art avait été réussie.

Alcofribas
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le 12 févr. 2021

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