Changelin c’est un peu le gamin turbulent et original de la bande du Monde des Ténèbres et celui dont la paternité semble la plus douteuse. Son background s’inscrit pourtant dans les traces de son grand frère Mage, dont il reprend la géniale cosmologie en la réduisant et l’adaptant du seul point de vue de la féerie.
Dès le livre de base, intégralement en couleur et joliment adapté par Ludis (sacré contraste avec la version française de Mage chez Hexagonal, pourtant honorable par ailleurs), qui fait le choix un peu regrettable mais pertinent d’abandonner le superflu-mais-rafraichissant système des cartes Bêtises de la version originale (qui fera d’ailleurs de même dès sa deuxième édition), on sent le jeu par nature rétif au cadre du Monde des Ténèbres.
Pour plusieurs raisons je crois :
Déjà parce que l’univers gothique punk de la licence ne se plie qu’aux forceps (et finalement à la marge) à l'univers de la féerie. D’ailleurs la gamme évite plus que toute autre les références au reste du World of Darkness (jusqu’à inviter ponctuellement le conteur à s’en éloigner totalement, suppléments du Loup Blanc compris).
Ensuite parce que le jeu ne peut pas être joué sous l’angle super-héroïque et que les changelins sont loin d’avoir les capacités des vampires / leus-gareus et autres mages (et pourtant combien de tables appréhendent la gamme de cette manière ?). Sans compter la contrainte (créative !) des Bêtises pour alimenter les Tours.
Enfin parce que le jeu est profondément ancré dans notre quotidien. Le thème fondamental en est le désenchantement du monde, et plus particulièrement le glissement de l’enfance vers l’âge adulte. C’est un jeu nostalgique, sur la triste matérialité du monde contemporain et sur la manière de compenser (ou non) la perte du regard magique de l’enfance en échange de la compréhension rationnelle du monde. Il interroge et nous renvoie à notre compréhension intime de l'existence.
En cela les changelins sont des personnages merveilleux à incarner, êtres duals qui vivent sur la corde raide, partagés entre leur moi féerique qui s’alimente de Glamour pour subsister, au risque de la folie, et leur moi humain qui doit trouver sa place dans la société sans disparaître dans la Banalité, tout en s’efforçant de faire comme si cette corde n’existait pas.
Vampire a été un séisme logique et bienvenu dans le monde du jeu de rôle (sa modernité déjà et surtout sa mise en exergue du 'storytelling', avec des histoires à l'échelle locale et centrées sur les personnages joueurs - on est d'accord que ça s'est vite perdu dans la gamme). J'apprécie Vampire mais au sein du World of Darkness je suis captivé par Mage et Changelin, le premier étant le choix de l'intellect et le second le choix du cœur.