Il me faut bien reconnaître que, au delà du vice de l'habitude (je vois un nouveau Djian en poche, je l'achète...), ma principale motivation pour ouvrir encore un livre de Djian est la curiosité : qu'est-ce que cet acharné de la "forme" va aller inventer cette fois ? Parce que, en ce qui concerne les sujets, il y a longtemps que ça ronronne, que ça tourne en rond ("Oh..." était une exception, mais il aura fallu le travail de Verhoeven pour révéler vraiment le potentiel profond de l'histoire...) dans un perpétuel recyclage de conflits familiaux nauséabonds au sein de configurations assez fantaisistes. L'originalité (?) de "Chéri-Chéri" tient donc seulement au travestissement du personnage principal, mais Djian n'en fera pas grand chose de plus qu'un vecteur supplémentaire de haine pour son beau-père, et de désir pour sa belle-mère. Donc il nous reste la forme : ici Djian pousse encore d'un cran certains essais antérieurs, sur la ponctuation (réduite au strict minimum), sur la structure des chapitres (absente) et sur l'usage des temps (variable au sein d'une même scène). Cela crée certes une sensation d'asphyxie et d'étrangeté, mais c'est rapidement aussi un sujet d'irritation, d'autant que Djian joue sur la mise en abyme en faisant utiliser les mêmes trucs à son écrivain de personnage principal, histoire de nous livrer sans doute le mode d'emploi avec le bouquin ! Non, finalement, ce qui marche formellement le mieux, c'est la réutilisation éhontée du truc de l'ellipse radicale, puisque, au sein même d'un paragraphe, l'intrigue saute plusieurs semaines (mois ?) en avant, nous privant de plusieurs moments-clé du récit, conséquences logiques de ce que nous venons de lire : l'effet est sidérant, forcément frustrant, mémorable sans doute, mais ce n'est finalement qu'un "truc" de magicien. "Chéri-Chéri" se boucle heureusement sur une scène forte, elle aussi tronquée en plein climax, qui jette une perspective différente sur Denis-Denise, dont il faut bien dire que nous n'avons pas suivi les aventures avec beaucoup de passion jusque là. Encore un Djian moyen. [Critique écrite en 2016]

EricDebarnot
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le 1 juin 2016

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Eric BBYoda

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