Lorsque l’on parle de récits de voyages, plusieurs noms nous viennent à l’esprit. Nicolas Bouvier est probablement l’une des plus belles plumes, et aussi une des plus fines, du XXème siècle en la matière. Érudit mais jamais pédant, globe-trotter mais jamais touriste. Notre voyageur national a raconté tant de destinations, avec un ton oscillant entre l’Histoire et la sociologie, la fiction et la poésie.
Chroniques japonaises reste une référence pour toute personne s’intéressant au Japon. Livre qui commence à dater, 1975 tout de même, Bouvier nous raconte le Japon qu’il découvre à différentes périodes. Le pays qui se relève douloureusement de la seconde guerre mondiale et du protectorat américain, et, plus tard, cette nation puissante et dynamique. L’extrait ci-dessous montre un Bouvier comme on aime. Pragmatique, s’échappant un instant de la chronique pure pour dériver, avec finesse, vers l’intuition, l’analyse même. Aussi pertinente qu’elle est simple dans sa formulation.
« C’est un fait que les bons livres de voyages – Voyez Polo, Bernier, Tavernier et Chardin – sont souvent écrits par des gens qui touchent au commerce. Vente, achat, bénéfice sont les premiers mots du vocabulaire international, l’âpreté mercantile évite à l’observateur ces engouements benêts qui vont bientôt fleurir dans la littérature quand les poètes se mettront à voyager. Avec un commerçant, pas d’envolées à craindre. Encore moins avec ces négociants d’Amsterdam, têtus et apoplectiques, que le barbier saigne et que le ministre exhorte une fois la semaine, qui risquent bravement leur gidouille sur les plus mauvaises mers du monde et dont les trognes ont obligé Franz Halz à user tant de vermillon. Aussi longtemps qu’ils peuvent importer la soie chinoise et exporter le cuivre japonais ils acceptent de bon cœur toutes les tracasseries – fouilles, interrogatoires, isolement – auxquelles les Japonais les soumettent. »