Chronique d’un meurtre annoncé est l’occasion de dresser le tableau d’un pays en comparaison duquel Baltimore ou Chicago font figure de havres de paix : « En 2009, on déclarait moins de pertes civiles dans la zone de guerre irakienne qu’on ne comptait de victimes de balles, de coups de couteaux ou de tabassages à mort au Guatemala » (p. 14). On retrouve aussi, dans ce long article d’investigation, le goût de l’auteur pour la réalité plus extraordinaire que la fiction – en l’occurrence
un meurtre dont la victime est le commanditaire
.
De cela, David Grann a conscience, y insiste, en joue, parfois un peu lourdement : « Les contrefaçons de la réalité les plus efficaces sont celles qui présentent ce que seuls les comploteurs semblent capables de créer : une trame parfaitement cohérente » (p. 99). De la même façon, si « Un analyste politique a fait remarquer que le témoignage de Rosenberg était plus traduit que les œuvres des poètes et romanciers les plus célèbres du Guatemala » (p. 48), on peut ajouter que son assassinat resterait probablement inconnu des amateurs de littérature sans le texte qui le relate. (À rapprocher par conséquent de l’Adversaire d’Emmanuel Carrère ou de De sang-froid de Capote.)
Se pose alors naturellement, comme souvent lorsqu’il est question de littérature du réel, la question de la valeur ajoutée – pour parler en termes d’économie – d’un tel récit, entendu que s’inspirer du réel ne constitue plus un parti pris esthétique suffisant. Sur ce point, David Grann a le mérite de ne jamais céder aux sirènes du sensationnalisme. S’il ne renonce pas pour autant aux effets, c’est de manière sporadique, pour mieux mettre en valeur les moments-clés de son enquête : « Le feu auquel s’était arrêtée la voiture des Musa est passé au vert, puis au rouge, puis au vert encore, mais la voiture est restée immobile, dans le bruit du moteur qui tournait toujours » (p. 13).
Ce balancement entre ce que l’auteur aurait pu écrire et ce qu’il a écrit est probablement l’angle le plus intéressant sous lequel lire Chronique d’un meurtre annoncé – par exemple, son enquête ne résout aucun des meurtres dont elle traite, et même « un pan essentiel de l’affaire Rosenberg reste mystérieux : qui a tué les Musa ? » (p. 100).