Je connaissais Jean-Marie Gourio comme rédacteur en chef de Charlie Hebdo, mais aussi auteur de « Brèves de comptoir », ou encore pour ses collaborations aux mythiques émissions « Merci Bernard » et « Palace ». J’avoue ne m’être jamais intéressé à ses romans, et c’est franchement dommage. J’ai pris un tel plaisir à lire « Chut », l’histoire de ce lecteur faussaire, ce « bibliocon » qui pour séduire la fraîche Mathilde, va entrer subrepticement dans l’univers du livre, d’abord superficiellement, puis avec de plus en plus d’implication. Par le biais de cette pétillante histoire, Gourio échafaude un monument aux livres, pas ceux élitistes ou guindés, non… les livres qui passionnent madame et monsieur tout le monde, qui dans une rame de métro, qui dans un square ou parfois même dans la rue, semblent si absorbés, si captivés que rien ne les dérange, ou pour reprendre les mots de l’auteur, « de les tirer de leurs lectures comme on tire quelqu’un de force de son lit ». On s’amuse beaucoup à parcourir « Chut et l’on est séduit par tant de bons mots ou de réflexions désopilantes et si justes. Tout au plus, on peut reprocher une certaine trivialité superflue à l’intrigue, de même quelques lourdeurs en fin de parcours mais rien de bien méchant. « Chut » est un roman qui rassure. Je me faisais la réflexion que le tout numérique était presque venu à bout du papier, il suffit de regarder autour de soi dans un lieu public, notamment dans les transports en commun, le nombre de cous cassés, les yeux fixés sur un écran deux ou trois fois plus petit qu’un livre. Gourio l’évoque, le lecteur d’aujourd’hui, est toujours aussi présent, simplement il suffit de le dénicher dans la masse, ce n’est pas si difficile quand l’on y prête attention, puisqu’il diffuse autour de lui une espèce d’aura de sérénité venant trancher avec la nervosité des doigts gesticulant sur un clavier. « Chut » est aussi enthousiasmant par ses personnages si attachants, que ce soit le narrateur en béotien un peu manipulateur, le père dont la tendresse et la fragilité nous touchent, les nombreux personnages secondaires truculents à souhait ou encore la belle Mathilde en véritable héroïne à la François Truffaut. Ce dernier aurait adoré « Chut ». Gourio aurait d’ailleurs pu faire sienne l’une de ses réflexions : « Qu’on écrive un roman ou un scénario, on organise des rencontres, on vit avec des personnages, c’est le même plaisir, le même travail, on intensifie la vie »