"Be yourself" à tout prix ?

Avec Cleer, le duo Kloetzer signe un premier roman tout en maîtrise. Cette percée dans le monde des multinationales à l'éthique plus que douteuse est remarquablement servie par une narration froide, incisive, mais toujours élégante et brillante, et l'on est souvent tenté de remplacer ces 5 lettres par d'autres sigles plus proches de notre quotidien, tellement la plongée semble réaliste, crédible, et donc bigrement flippante.

L'intrigue est subtilement orchestrée pour que les limites de l'acceptable soient continuellement questionnées : jusqu'où serais-je (serions-nous) prêts à aller pour grimper les échelons de la réussite professionnelle ? "Be yourself" doit-il primer sur un "be a good person", par exemple ? Le pouvoir de l'argent fixera-t-il (fixe-t-il !) la ligne rouge à ne pas dépasser ? Au fil des missions de Vingh et Charlotte, chacune plus dérangeante que les précédentes, le dilemme se pose avec toujours plus d'intensité et d'ambiguité.

L.& L. ajoutent à leur histoire une pincée de fantastique, ce qui n'est pas pour déplaire au lecteur, bien au contraire. Cette intrusion de l'imaginaire dans le réel souligne davantage encore les dérives surréalistes des industriels aux yeux du lecteur/citoyen ordinaire. Un bon moyen également de poser l'ultime question : reste-t-il un tant soit peu d'humanité à la tête des multinationales d'aujourd'hui ? Pour L.L. Kloetzer, la réponse ne semble guère faire de doute...