Je ne sais si Javier Marias a le sens de l'auto-dérision, mais toujours est-il que débuter un chapitre par "Il avait une forte tendance à disserter, à discourir et à la digression, ainsi que je l'ai vu chez bon nombre d'écrivains" n'a pas manqué de me faire sourire intérieurement. Car l'académicien espagnol a la manie des phrases qui n'en finissent pas, qui s'étirent et s'allongent sur des pages entières. Je dois avouer que ce n'est pas une façon d'écrire qui me séduit d'emblée, je préfère les narrations qui s'accordent avec la respiration.

Pourtant, Marias réussit peu à peu à m'amadouer avec son baratin interminable, au point même qu'au moment de refermer ce livre, je suis bel et bien fasciné par sa prose totalement maitrisée. Car le style qu'il emploie convient parfaitement à son propos : une enquête sur un meurtre, au cours de laquelle on s'immisce dans les pensées des personnages, comme une plongée délicieuse dans leur intimité qui frôle le voyeurisme. C'est d'autant plus agréable que ces réflexions ne sont pas des inepties, loin de là. Elles servent parfaitement le déroulement de l'enquête d'une part, en éclairant intelligemment l'évolution subtile des relations entre les personnages ; d'autre part, Marias nous embarque à travers elles dans une relecture brillante de nos classiques, revisitant Balzac, Alexandre Dumas ou Shakespeare. Je me suis surpris cette semaine à acheter "le colonel Chabert", que je languis de lire prochainement : c'est dire à quel point Marias a réussi son coup.

Le madrilène redonne aussi ses lettres de noblesse au roman policier. Les romans affublés de ce titre qu'on trouve dans nos librairies depuis quelques années n'en sont plus qu'un sous-genre, des romans thriller, dont je ne nie pas la qualité de certains bien entendu, mais qui font majoritairement l'apologie de l'horreur, dans une escalade qui ne s'arrête plus. Marias lui restitue son sens originel d'enquête, d'investigation, au sens large, tout en refusant d'employer les ingrédients aguicheurs du thriller. Et la maitrise qu'il affiche, le soin avec lequel il décortique chaque élément de son intrigue, haletante malgré tout, font que le résultat est bluffant. Un roman magnifique et magnétique.
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le 20 nov. 2013

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