Désiré Cordier n’en pouvait plus de sa femme et de la vie bourgeoise. Alors à soixante quatorze ans, il s'en est allé, volontairement, vers la fin de vie que tout le monde redoute : simulant la démence sénile, il s’est fait «enterrer» avant l’heure dans une maison de retraite, afin de fuir Monique (qu’elle orthographie Monik, parce que c’est tellement plus chic), épouse mesquine et pleine de venin, et pour échapper aux rôles qu’on se doit de tenir en famille et en société.

«Heureusement, j’ai déjà il y a longtemps, et à l’insu de Monik, fixé par testament que, vraiment, je m’en tamponne de l’endroit où ma dépouille mortelle atterrira. Du moment que ce n’est pas en terre aux côtés de ma femme. Monik et moi avons dormi suffisamment de nuits côte à côte comme des cadavres, qu’il nous soit épargné de devoir continuer à le faire dans un caveau de famille.»

Avec un peu de ruse et une bonne dose d’abnégation, ce grand distrait a réussi à se faire passer pour un dément crédible, quasiment aux yeux de tous, pour se ménager une liberté même tardive et la fin de vie de son choix.

«Sur papier ça avait l’air simple : j’allais me désagréger plus ou moins comme un de ces rochers isolés dans un western : lentement, avec une certaine beauté, et irrémédiablement.»

Comme dans «La merditude des choses», Dimitri Verhulst évoque ici avec drôlerie et férocité les environnements familiaux cabossés et problématiques qu’il faut fuir pour se préserver, et, au travers des portraits touchants ou au vitriol de ses camarades de maison de retraite, le naufrage physique de l’âge et les occasions d’une vie manquées en un instant, «ces minuscules points de basculement de l’existence».

Ce roman de 2013 traduit par Danielle Losman pour les éditions Denoël (parution janvier 2015) est aussi en filigrane un tableau désenchanté de notre époque, de sa frénésie vulgaire et creuse de consommation, et d’un effondrement de l’intelligence tel qu’il est préférable de se retirer avant l’heure.
MarianneL
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le 15 janv. 2015

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