Comme l'indiquerait le titre, le texte de ce deuxième roman d'Andréï Makine se présente comme un monologue. Le narrateur, immigré russe, ancien soldat de l'Armée Rouge en Afghanistan, est désormais écrivain et vit à Paris. Et il s'adresse à son copain d'enfance, Arkadi, qu'il n'a pas revu depuis des années.
Et le roman devient alors une plongée dans l'URSS de la fin des années 50/début des années 60. Nous sommes dans le grand Nord russe, pas très loin de Leningrad. Les deux amis ont grandi dans un bloc de trois immeubles réunis autour d'une cour commune et coupés du reste du monde (ce qui est une assez belle représentation symbolique de l'URSS). Ils sont tous les deux dans l'association de jeunesse de leur région ; l'un joue du clairon pendant que l'autre tape sur son tambour, le regard sur l'horizon forcément éclatant qui annonce la victoire définitive (mais toujours retardée) de la dictature du prolétariat.
Le roman prend volontiers des allures nostalgiques dans cette description d'une enfance en URSS. Les détails empruntent sans doute beaucoup à certains souvenirs personnels de Makine. En tout cas, l'auteur nous livre ici un récit à la fois tendre et désabusé, sans céder ni à la simplicité réductrice de la nostalgie ni à la critique bête et méchante. Il y a, dans cette Confession d'un porte-drapeau déchu, à la fois l'aveuglement d'enfants qui acceptent tout sans se poser de questions, et le regard réflexif d'un adulte des années qui a vécu l'effondrement du système soviétique. Makine, avec finesse, parvient à mêler l’illusion et la lucidité…
Confession d’un porte-drapeau déchu est un roman sur la mémoire. Il y est constamment question de souvenirs, du passé qui affleure sans cesse dans le présent, ce passé que l’on devine à demi-mots, qui n’est pas clairement exprimé jusqu’à ce qu’il éclate au grand jour. Le passé forcément douloureux : la Grande Guerre Patriotique, le NKVD, l’aveuglement idéologique, la peur constante de la répression, le blocus, les camps de concentration, etc.
Un grand écrivain aurait pu faire quelque chose de formidable dans ce portrait en demi-teinte et cette résurgence de la mémoire. Mais n’est pas Modiano qui veut. Makine avance avec des sabots parfois très lourds. La scène des souvenirs de Faïa lors du blocus est (désolé du jeu de mots) indigeste.
Par contre, il est capable de nous donner certaines scènes très justes. La scène, fortement symbolique, de la bombe de la Seconde Guerre Mondiale retrouvée au fond de la Crevasse, est une belle métaphore de ce passé qui revient inévitablement exploser dans le présent, à un moment ou à un autre.
Ce qui est intéressant par contre, c’est que Makine ne tombe pas ni dans le piège de la nostalgie idiote, en mode « c’était mieux avant », ni dans celui, tout aussi stupide, de l’Occident triomphant. Son roman débute par un portrait désabusé de la vie parisienne, et se clôt par un portrait désabusé de l’american way of life. Pour des immigrés russes dont les familles ont connu les horreurs soviétiques, l’Occident n’apparaît pas comme une solution. Le changement de vie (dont on se dit que le rôle premier est peut-être d’enterrer ce passé douloureux) échoue : nos Russes ne parviendront jamais à devenir des Occidentaux. Leur histoire n’est pas la nôtre. Leur passé les rend irrémédiablement différents de nous.
Finalement, même si c’est mineur dans ce très court roman (150 pages), le narrateur porte, sur notre société occidentale moderne, le même regard désabusé et lucide que celui qu’il portait sur la société soviétique. Pour son personnage, l’Occident moderne, c’est un mode de vie froid et sans âme dans lequel il ne peut pas se couler. Le narrateur reste un étranger.
Makine fait un roman qui a de belles qualités, mais qui reste bancal. Les personnages ont parfois des réactions étranges, illogiques, ne coïncidant pas avec le portrait psychologique qui en est dressé durant le récit. L’écriture se laisse lire sans être transcendante. Mais le roman nous livre quand même quelques belles scènes, et surtout le portrait croisé de deux pères attendrissants et émouvants.