Ce petit texte est l'oeuvre la plus ancienne de Sénèque dont nous disposons et que nous pouvons dater (entre 37 et 41 selon Veyne). Trois ans après la mort du fils de Marcia, Sénèque écrit une sorte de lettre publique (c'est le genre littéraire de la consolation) afin d'expliquer les raisons pour lesquelles elle doit cesser de pleurer la disparition de son fils.


Et si Sénèque peut s'en sortir sans se prendre une sérieuse claque, c'est parce qu'il est fort probable qu'il soit déjà un philosophe de renom à cette époque. D'ailleurs, son style est déjà le sien (et c'est l'intérêt principal de ce texte : comme toujours, c'est clair, délicat, précis, convaincant). Il n'écrit pas tant pour Marcia que pour le/la lecteur.ice romain.e qui chercherait chez un philosophe une sorte de sermonneur éclairé.


Les arguments du texte reprennent globalement les thèses stoïciennes sur la mort : elle n'est pas un mal, puisque si je suis mort, je n'existe plus, et rien ne peut donc me toucher. Comme d'autres penseurs de cette école, il enjoint Marcia à s'adonner à une préparation aux malheurs et une préparation à la mort : c'est en envisageant les malheurs que nous pouvons nous y préparer et nous en défendre le moment venu (on retrouve beaucoup cela chez Marc-Aurèle, par exemple).


Mais peut-être que l'originalité de Sénèque, déjà à cette époque, c'est d'envisager la philosophie comme une thérapeutique : la tristesse de Marcia est un vice, donc une maladie, qu'il s'agit de soigner. Sa tristesse prolongée est en effet immorale pour un stoïcien : la mort est un événement banal dans la nature, et si toute espèce connaît le deuil lors de la mort de l'un des siens, la tristesse prolongée qui s'installe est une déviation de l'individu par rapport à sa propre nature (qui est de suivre la raison).


Le texte se termine par une sortie hors de la philosophie pour se lancer dans une réflexion mystique sur la vie des âmes après la mort, sans grand intérêt sinon stylistique. La Consolation à Marcia n'est pas le meilleur texte de Sénèque, ni le pire : on peut le lire rapidement, mais je n'y ai rien trouvé qui valait la peine de s'y arrêter plus longtemps. La misogynie insistante de Sénèque n'aide pas à le rendre plus sympathique.


Mes autres critiques de Sénèque :
Consolation à ma mère https://www.senscritique.com/livre/Consolation_a_Helvia_ma_mere/15374361
De Beneficii https://www.senscritique.com/livre/Les_Bienfaits/critique/224132843
De otio https://www.senscritique.com/livre/Du_Repos/critique/224128925
Lettres à Lucilius : https://www.senscritique.com/livre/Lettres_a_Lucilius/critique/222784965

bigoulit
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le 29 juin 2020

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