Au cœur d’une ville italienne de Lombardie, une immense décharge, un continent d'ordures encerclé de palissades est le cadre de "Corps à l'écart".
Quelques individus habitent ce territoire où sont quotidiennement rejetés les rebuts trop prolifiques d’une société de consommation aux appétits sans limites ; fuyant l’aliénation d’un monde ou d’un entourage devenu insupportable, ils forment «une espèce de micro-communauté adossée à un tas d’ordures d’une taille exceptionnelle». Dans ce qui constitue, paradoxalement, un espace protecteur et libre, une maison, un refuge, ils vivent de la "chasse" aux ordures, ramassant, utilisant ou revendant les déchets et appareils réhabilités sur le marché aux puces.

«La Ville allait pêcher ce qui lui manquait dans sa propre fange, elle prenait conscience de ses besoins en regardant ses déchets et, surtout, cherchait dans ses propres rebuts une nouvelle façon de survivre. Un mélange inattendu de personnes, des vieux, des jeunes, des individus à l’apparence tout à fait normale, se transformaient en fourmis laborieuses, en sourciers à la recherche d’un Eldorado perdu. Et ce lieu d’élimination et de perte semblait l’endroit idéal pour trouver de nouvelles richesses.»

Iac, l’adolescent en rupture avec sa mère, Saddam le refugié turc et guetteur de la décharge du haut d’une ziggourat d’ordures, un géant zimbabwéen que l’on surnomme Argos, et Nero, le chien squelettique, sont les témoins aux premières loges, dangereuses, de l’élimination illégale et très profitable des déchets toxiques, enfouis durant la nuit au cœur de la décharge, la dénonciation d’un trafic qui rappelle le Gomorra de Roberto Saviano.

En 90 courts chapitres, âpres et saisissants, la décharge, ce lieu d’enfouissement, forme une métaphore de la société contemporaine sous l’emprise d’une consommation toujours insatisfaite, monstre à la gueule béante qui abîme le monde, où les individus, risquant s'ils ne s'en défendent de devenir des narcisses creux, enfouissent et rejettent toutes les imperfections.

«C’était le samedi matin sur le marché aux puces, le royaume des remises, réductions et prix cassés depuis des temps immémoriaux […]
C’était des allées et venues permanentes, la population de la Ville déclinée sous toutes ses formes, de la fourrure au manteau usé, du blouson d’hypermarché à la veste Prada. La plus grande variété de mesquinerie et d’avarice urbaines, mêlées à l’impossibilité et à la pauvreté naturelle que l’excès de biens pouvait créer.»
MarianneL
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le 24 févr. 2014

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