Avec son image réductrice (il serait aux lettres « fin-de-siècle » ce que Guillaume Depardieu fut au cinéma français ?) mais dont il faut peut-être finalement dire qu’il ne l’a pas volée, celle-là, Jean Lorrain se devait d’aimer la peinture. Après tout, c’est un dandy… Et quel peintre aurait été mieux placé pour susciter son admiration que Gustave Moreau, cette autre figure de symboliste / décadent / dandy / que sais-je d’autre ? Et quand je parle d’admiration, le terme est encore un peu faible : « Vous l’avez lu et vous savez combien votre œuvre me hante et quel misérable ensorcelé je suis de votre art ! » (lettre de juin 1893, p. 57).
Le lecteur qui attendrait plus de leurs échanges sera déçu de trouver ici davantage d’hommages que de réflexions esthétiques, ce qui peut surprendre de la part d’un esthète. (Du reste, la correspondance avec Moreau n’est pas loin d’être à sens unique : trois lettres ou extraits du « cher maître », pour une trentaine de lignes au total, le reste étant de la main du « misérable ensorcelé ». Il faut croire que Moreau avait d’autres chats à fouetter, à moins que ses admirateurs rechignent à faire sortir ses lettres du circuit des salles des ventes…) Cela dit, j’ignore si Lorrain a développé quelque théorie que ce soit, ou tout au moins proposé une critique d’art au sens où l’ont pratiquée un Baudelaire, ou Apollinaire ou un Proust, même si l’éditrice affirme que « Cette démarche qui consiste à tisser des liens entre des pratiques artistiques différentes est une constante chez Lorrain » (p. 85).
Quant aux poèmes, disons que la comparaison avec le récit (« La Gardienne », pourtant pas un chef-d’œuvre du conte fin-de-siècle) que Lorrain joint à l’une de ses lettres corrobore l’idée que l’auteur des Princesses d’ivoire et d’ivresse est meilleur conteur que poète. Ce sont d’honnêtes productions dans le goût du Parnasse, avec les restrictions que ce courant m’a toujours inspirées, parfois proposées en plusieurs versions : j’en ai gardé deux ou trois vers intéressants (j’aime bien « Sous une pluie de sang d’oiseaux morts, c’est Stymphale », dans « Hercule au lac Stymphale »), aucun de vraiment marquant, et l’impression que Lorrain mérite son image de dilettante.
L’inspiration que Lorrain tire de Moreau, affirme une note, « annonc[e] les lectures surréalistes, qui verront l’œuvre de Moreau à travers certaines figures obsessionnelles, au-delà de la conception traditionnelle du sujet » (p. 85). C’est peut-être discutable, mais ça ne dément pas l’idée que les textes de Lorrain regroupés ici sont intéressants malgré lui, plus que pour eux-mêmes.

Alcofribas
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le 8 juil. 2018

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