Ce matin, j’ai froid. Il est un peu plus de trois heures, je ne dors déjà plus. Pour me réchauffer, et parce que je devais déjà lire ça depuis quelques temps, je prends cette Corvée de bois à défaut d’un feu qui pourrait me réchauffer le cœur.

Il fait froid dehors, mais il ne pleut pas, je suis allé vérifier. C’est important qu’il ne pleuve pas aujourd’hui.

Je m’installe dans mon meilleur fauteuil, me recouvre les jambes du plaid récupéré chez mon père après sa mort, il y a un an. J’ai besoin de me réchauffer.

Ah oui, j’oubliais, il y a quatre jours, il y a eu cet attentat à Paris contre la rédaction de Charlie Hebdo. Tignous faisait partie des victimes. C’est lui qui illustre ici la nouvelle de Didier Daeninckx. Mais non, Tignous ne peut pas être mort, je l'ai face à moi avec ses dessins, plus vivant que jamais !

Il fait de plus en plus froid, malgré la couverture. Même le fauteuil n’est plus aussi confortable.

Je prends ce livre d’abord pour rendre hommage à Tignous (et à tous les autres victimes dont l’agent d’entretien et le policier) et voilà que je me trouve face au récit d’un jeune Français envoyé en Algérie à la fin de l’année 1955 où il va participer à des actes insupportables.

Dans une première partie, Daeninckx et Tignous nous montrent l’insouciance de ces jeunes d’une vingtaine d’années, avant leur incorporation dans l’armée. Suit une description du monde des paras découvert par le narrateur, où un instructeur n’hésite pas à paraphraser la formule célèbre sur la culture qu’on attribue souvent à Goebbels… Un monde terrible pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas sauter en parachute, qui deviennent alors les « gonzesses » et subissent des outrages pouvant aller jusqu’au viol… C’est ensuite l’arrivée en Algérie, la « pacification », le parcours en train jusqu’à Philippeville. Face à la violence de la rébellion, se forme très vite un esprit de corps, encouragé par la hiérarchie : c’est nous ou eux… Face aux victimes françaises, on se soude, on fait le serment de les venger, et on met en œuvre des principes qu’on avait vus pendant la seconde guerre mondiale, appliqués par les nazis : pour une victime française, il en faudra au moins cinquante dans l’autre camp…

Je lis cette nouvelle pour rendre hommage à Tignous, et voilà que le narrateur raconte justement que dans une opération de représailles à Philippeville, il finit par tuer deux femmes, un vieillard, un enfant ainsi qu’un journaliste américain. La même violence, certes pas préméditée ici, mais aussi vaine et stupide que celle qui s’est abattue sur Charlie Hebdo, même si on ne peut comparer complètement les violences individuelles de ces terroristes à celles commises par des hommes dans le cadre de missions imposées par l’Etat français.

On est à Philippeville, dans le nord-est de l’Algérie, et j’ai toujours aussi froid, et la nuit est toujours aussi noire. Le narrateur est envoyé dans un Groupe Mixte d’Intervention pour s’occuper de l’action psychologique, c’est-à-dire, tenter par tous les moyens de convaincre les Algériens d’être acquis aux Français et de ne pas soutenir le FLN… Puis le narrateur retrouve une unité plus classique, permettant à Daeninckx de nous décrire, avec la froideur de son narrateur pas choqué par ces pratiques, une palette d’actions françaises entreprises au nom de notre pays, des bombardements au napalm à la gégène en passant par les viols, les massacres, les humiliations gratuites où encore les fameuses corvées de bois (exécution sommaires de prisonniers).

Le jour se lève, mais ce que je lis me glace le sang : n’est-ce pas une sorte de corvée de bois qu’ont effectué les terroristes le 7 janvier 2015, 60 ans après les crimes perpétrés par la France en Algérie ? Tignous dénonçait dans cet ouvrage avec Daeninckx le rôle peu glorieux de la France en Algérie, de même qu’il dénonçait la barbarie des extrémistes musulmans. Un homme de valeurs, qui en a chèrement payé le prix.

Le jour se lève, et je crois que c’est parce qu’il existe encore des Tignous sur cette terre qu’on doit reprendre espoir.
socrate
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le 10 janv. 2015

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