Universellement connue, la ruse du Cheval, qui mit fin à la guerre de Troie après dix ans de combats, n'est pas mentionnée dans l'Iliade (laquelle s'arrête aux funérailles d'Hector) et ne fait l'objet que de quelques vers de l'Odyssée. Les zones d'ombre entourant cet épisode fameux autorisent donc toutes les extrapolations littéraires. L'auteur italien Sergio Claudio Perroni a ainsi imaginé ce qui a pu se passer dans le ventre du cheval de bois entre le moment où les soldats grecs y pénètrent, et celui où ils en sortent pour abattre la cité du roi Priam...
"Dans le ventre" m'a offert deux heures de lecture agréables en compagnie de trois souverains légendaires : Épéios, Néoptolème et Ulysse, qui à eux seuls occupent presque tout l'espace de ce huis-clos mythologique qui, par certains aspects, ressemble à une pièce de théâtre. J'y ai trouvé ce que j'étais venu y chercher, mais je relèverais tout de même deux gros points noirs qui, sans aller jusqu'à gâcher l'expérience de lecture, m'empêcheront de recommander chaudement cet ouvrage à d'autres lecteurs :
Premier point : les notes de bas de page. Il serait temps de réclamer un moratoire contre la prolifération de ces parasites dans les oeuvres littéraires. À vrai dire je ne vois guère que deux cas, hors ouvrages universitaires, où elles ont leur place : 1/ le traducteur peut être amené à expliciter une allusion ou une référence évidente dans la langue d'origine, mais obscure pour des lecteurs issus d'une autre culture ; 2/ Si l'auteur s'appelle Terry Pratchett, ses notes de bas de page pleines d'humour participant d'un jeu avec le lecteur. Ici nous ne sommes dans aucun de ces deux cas. Si l'auteur croit que son lecteur ignore qui est Arès, il y a toujours moyen d'intégrer l'information subtilement dans la narration, au lieu de nous imposer un "Dieu de la guerre" en renvoi ; le summum de l'absurde étant atteint lorsque des informations effectivement données dans la narration sont répétées en note de bas de page : par exemple la phrase "C'est Néoptolème, le jeune guerrier, le fils orphelin d'Achille" est agrémentée d'un renvoi qui nous dit : "Fils d'Achille" ! C'est le genre de chose qui a le don de me mettre d'emblée dans de mauvaises conditions de lecture, même si, fort heureusement, cette manie de l'auteur (ou de l'éditeur d'origine ?) s'estompe au fur et à mesure que le texte avance.
Second point : le prix de vente. "Dans le ventre" n'est pas un roman : avec ses 120 pages bien aérées, il s'agit précisément d'une novella, voire, si l'on s'en tient au faible nombre de personnages et de l'unité de lieu, d'une longue nouvelle. Or ce livre est commercialisé au prix de 18 euros, comme un roman grand format de 300, 400 pages ou davantage ! À titre de comparaison, les novellas de la collection "Une heure lumière" du Belial' ou celles des regrettées éditions Griffe d'Encre coûtent environ 9 euros... soit le prix que le bon sens attribue spontanément à des ouvrages de ce type. J'ai acheté mon exemplaire d'occasion, pour 5 euros, et j'estime avoir fait une bonne affaire ; mais qui irait miser 18 euros sur une novella de 120 pages écrite par un inconnu ? Une telle politique de prix revient à condamner cet ouvrage à l'échec commercial (ce n'est sans doute pas un hasard si huit mois après sa sortie je suis son premier lecteur sur Babelio) et cet auteur italien, dont il s'agit de la première parution en France, à rester inconnu par chez nous...
Hormis ces deux gros points noirs sur lesquels je me suis appesanti, il s'agit donc d'une variation plutôt réussie sur un épisode majeur de la Guerre de Troie, et une preuve supplémentaire, s'il en était besoin, que l'on peut toujours trouver de nouvelles choses à faire dire aux mythes antiques.