Critique de Shaynning
Incontournable Janvier 2022 Ce roman pour adolescents fait parti de la collection "Young novel" de la maison Akata, et constitue à lui seul un grand pas en avant. Déjà, je dois dire qu'il y a trop...
Par
le 24 janv. 2022
Incontournable Janvier 2022
Ce roman pour adolescents fait parti de la collection "Young novel" de la maison Akata, et constitue à lui seul un grand pas en avant. Déjà, je dois dire qu'il y a trop peu de personnages d'origines Moyen-Orientales, Darius étant le premier que je croise pour le genre masculin. Aussi, comme je le mentionne souvent dans mes autres critiques, on aborde trop rarement la psychologie et la santé mentale de nos garçons et jeunes hommes en littérature jeunesse. Un drame, quand on pense au coffre à outils majeur que constitue le livre pour nos jeunes, et la formidable occasion de mieux comprendre le monde qui les entoure. Voici donc "Darius le Grand ne va pas bien", un roman sur des thèmes qui sonnent lourds, mais qui se révèle lumineux, humain et universel.
Darius Kellner a 16 ans et s'il travaille dans un magasin de thé où les connaissances en matière de thés sont questionnables, c'est pour un jour espérer un travail dans une vraie industrie du thé. Et en matière de thé, les Persans, qui constituent la moitié de ses origines familiales, s'y connaissent. Plus états-unien qu'iranien, Darius vit également avec une dépression chronique, un trait hérité de son père, qu'il qualifie d"Übermensch" ( un surhomme, concept popularisé par les aryens allemands, entre autre), ce qui est en soit une sacrée ironie. Darius semble avoir une relation complexe avec son père, dont il semble être une perpétuelle déception. Pour parfaire le tableau entourant notre protagoniste, sachez également qu'il a un prénom et une façon d'être qui en fait une cible de moqueries et de surnoms phalliques. Mais notre amateur de Star Trek et du Seigneur des anneaux va bientôt se retrouver à Yazd, en Iran. Lui et sa petite soeur Laleh ( 8 ans) vont rencontrer pour la première fois le côté perse de la famille, sous un sinistre prétexte: En effet, leur grand-père est atteint d'un cancer du cerveau. C,est néanmoins un pays magnifique, à l'architecture sublime, aux plats savoureux et à la riche culture que va découvrir l'adolescent. C'est également l'occasion de célébrer certaines fêtes importantes et de renouer avec la famille élargie. Darius, entre deux tasses de thé et les visites sur les sites de ruines préservées, va également rencontre Sorhab, un iranien de son âge, avec qui il va développer une réelle et sincère amitié.
J'ai été impressionné par la façon d'harmoniser le récit avec les éléments culturels de ce pays trop peu connu. Après avoir lu le roman "Aria" ( que je vous recommande) du département adulte, je me faisais la réflexion que j'adorerais en avoir un de ce genre pour nos ados. Alors vous n'imaginez pas le plaisir que j'ai eu de découvrir ce roman et de constater, en plus, qu'il est excellent! Les personnages partiellement ou complètement originaires du Moyen-Orient restent encore gravement sous-représentés, alors même que des gens issus de cette partie du monde sont de plus en plus présents au Québec, en France et aux États-Unis. On retrouvera dans ce roman une belle palette de farsi, la langue persanne, quoiqu'un glossaire n'aurait pas été superflus.
Il existe plusieurs axes importants dans ce roman. L'un des principaux est bien sur la famille, que ce soit la découverte d'un versant "étranger" ( dans le sens extérieur) avec la famille de Shirin, mère de Darius, ou le versant parent-enfant, surtout entre Darius et Stephen, son père. J'ai vraiment trouvé crédible les divers liens entre les personnages, où leur rapports sont relativement terre-à-terre, sans drames grandiloquents ou surenchère émotionnelle. Darius et son père semblent se ressembler à un point où paradoxalement, ils semblent trop différents. Darius cultive un puissant sentiment d'infériorité face à son père, qui lui apparait comme le mâle alpha idéal éternellement insatisfait de son fils, qu'il qualifie même d'Übermensch, le "surhomme" tel qu'élaboré par le philosophe Nietzsche. Pourtant, à bien des égards, malgré ses paroles clairement maladroites, on sent que Stephen veut ce qu'il a de mieux pour son garçon. Ah les joies de la communication défaillante! C'est pourtant bien l'enjeu: le manque de dialogue sur les émotions et les impressions. Pas besoin de faire dans le mélodrame, c'est bien l'une des principales causes de conflits relationnels. Merci à l'auteur de s'en être tenu à cela. Également, un beau travail sur les parents, très nuancés et bien rendus, qui font parti intégrante du récit et sont très touchants.
Dans les relations, j'ai trouvé sincèrement merveilleux de voir un jeune homme cultiver une affection non-feinte pour sa petite sœur. C'est un peu le running gag en jeunesse que les relations frère-soeur où chamailleries et conflit de personnalité composent l'essence de cette relation, mais pas ici. Darius aime sa petite sœur et Laleh voit clairement son grand frère comme une figure rassurante et aimante. Sa confiance en lui transparait essentiellement dans ses gestes. C'est vraiment beau à voir. On a tendance, dans les romans, peut-être comme dans la vraie vie, à accepter les relations conflictuelles comme la norme quand aux frères et sœurs, alors qu'on encourage pas assez l'affection réciproque et la manifestations physique de cette affection. Alors en voir ici dans ce roman, c'est un pas en avant. Même chose pour tous ces gestes tendres que se partagent les personnages, les accolades, les doigts dans les cheveux, les baisers sur les joues, les têtes-contre-têtes. Pourquoi devraient-on trouver "non-viril" ce genre de gestes, pourtant si essentiels?
Darius, oui, certes, il faut en parler de ce héro atypique! Atypique dans le bon sens, en passant. Darius n'a pas une forte confiance en soi, mais comme l'a remarqué le personnage de Sorhab, il a une certaine estime de soi, en ce sens où il ne cherche pas à changer qui il est. Néanmoins, il gère bien mal le manque d'acceptation autours de lui à son endroit, que ce soit son père, son grand-père, Sorhab et les canailles un brin débiles qui s'en prennent à lui à l'école. Il est terriblement auto-critique et culpabilise facilement. Il a pourtant de belles forces. En outre, je pense qu'entre les lignes, on peut deviner que Darius est réellement homosexuel, sa relation avec Sorhad naviguant d'ailleurs quelque part entre "fraterniromance" et amitié. Ce n'est pas le sujet du roman, cependant et c'est évoqué très subtilement, mais on comprend que les insultes à caractère sexuels , au début, sont probablement très humiliantes pour un gay qui n'est pas sorti de son placard. Darius nous parle abondement de ce qu'il ressent, de ce qu'il perçoit et cogite. Il nous parle aussi de son rapport à son corps, pas très positif lui non plus. C'est une grande force du roman et précisément les éléments qui manquent aux romans avec des héros masculins, selon moi.
Un élément du développement des personnages est également digne de mention: traiter la vulnérabilité ( au masculin). le concept de "masculinité toxique" est de plus en plus abordé sur la scène sociale, et en ce sens, on décrit de plus en plus la figure sans failles et dominatrice du "parfait Mâle Alpha/übermensch" ( Caucasien/Blanc systématiquement). Voir un papa parler de sa dépression et offrir une illustration de vulnérabilité est donc en soit très pertinent et grandement apprécié. Être capable de reconnaitre ses limites et accepter d'être faillible, c'est en soit une très grande force. Être capable de dire "je t'aime" et reconnaitre ses peurs, en sont d'autres. J'ai par conséquent beaucoup aimé le traitement du personnage de Stephen Kellner et ses nombreuses nuances.
Un élément marquant du monologue intérieur de Darius est l'aspect "méritoire" de sa dépression. Parmi les nombreuses infos erronées entourant la condition dépressive, on a l'idée de "cause". On pense à tort que la dépression est liée à quelque chose de contextuelle ou situationnelle, mais il s'avère que cette maladie à la fois mentale et physiologique peut très bien ne pas avoir d'autre cause qu'un dérèglement des neurotransmetteurs, ces messagers du cerveau. Darius lui-même nous explique qu'il n'y a pas de "drames" dans sa vie expliquant l'apparition de sa condition, mais que son père a le même enjeu dans sa vie, expliquant peut-être ici une certaine prédisposition génétique. Cet aspect du roman est très intéressant et va sans doute aider à mieux comprendre les enjeux de cette maladie encore si stigmatisante pour ceux et celles qui ont le malheur de la développer.
Il y a deux seulement petites choses mineures qui m'ont agacé: La première est la redondance de "serviteurs sans âmes de l'orthodoxie", non seulement parce que c"est redondant, mais aussi parce que je ne la comprend pas bien. Il aurait été plaisant d'avoir un complément d'infos de la part de Darius pour nous mettre au parfum sur cette expression de son cru. Je figure que ça peut ressembler à " ces gens froids parfaitement conformistes", mais ça reste vague. La seconde est la fait que "mamou" ( la grand-mère) appelle Darius "Maman". On nous explique au début que cet emprunt potentiel à la langue français désigne communément une "mère" ou une "grand-mère", alors comment expliquer ce suffixe quand la grand-mère parle de Darius? Pour un francophone, ça porte à confusion!
Enfin, je dirais que ce roman traite de plusieurs sujets entourant le fait d'être adolescent, se se sentir différent, confus, jugés et de prendre conscience de sa personnalité propre. Il y a pleins de considérations, que ce soit quand aux rôles sociaux, à son rapport familial, aux émotions parfois envahissantes, au développement de ses rapports amicaux plus profonds que durant l'enfance, au désir d'être accepté tel que l'on est et bien sur, d'avoir un sentiment d'appartenance concrêt. J'ai souvent trouvé que les auteurs pour ados plaçaient beaucoup d'embuches autours de leurs personnages ados sans creuser plus leur intérieur, pourtant bien plus pertinent, alors ça me fait toujours plaisir quand un roman pour ados fait le contraire.
Contrairement à ce que la 4e de couverture et l'étiquette "Dépression", combinés aux thème d'intimidation, de cancer et de relation parentale complexe peuvent laisser présager, le roman n'est ni lourd ni tragique. C'est même lumineux et équilibré par bon nombre d'éléments positifs. La présence des paysages, des festivités, des séances de foot, des nombreuses ( et tordantes!) références sur les univers de Star Trek et du Seigneur des Anenaux/Le Hobbit rendent le tout accessible, souvent drôle et rempli de beauté.
S'il se passe beaucoup de choses, en soit, il n'y a pas de suspense. Ce n'est pas addictif en raison de l'action, mais plutôt pour le développement des relations entre les personnages. C'est étonnant comment ça se lit tout seul malgré un rythme de croisière aussi tranquille. Mais en même temps, c'est reposant.
C'est définitivement le genre de roman qui change le regard sur le monde et qui va contribuer à découvrir une culture qui mérite plus d'égards. Des romans de ce genre, il y en a peu, toute proportions gardées, dans la foison de romans destinés aux ados. Je comprend l'intérêt qu'il suscite et les prix dont il est dépositaire. C'est un roman émouvant, pertinent et porteur d'espoir.
Une suite existe: "Darius The Great deserve better" ( Darius le Grand mérite mieux).
Bref, c'est définitivement à faire connaître!
Pou un lectorat du second cycle secondaire, 15 ans+.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs livres pour adolescents, Albums Jeunesse et Romans Jeunesse LGBTQIA et sur l'homoparentalité, Les livres qui changent la vision du monde, Les livres qui se lisent d'une traite et Les meilleurs livres sur l'adolescence
Créée
le 24 janv. 2022
Critique lue 54 fois
D'autres avis sur Darius le Grand ne va pas bien
Incontournable Janvier 2022 Ce roman pour adolescents fait parti de la collection "Young novel" de la maison Akata, et constitue à lui seul un grand pas en avant. Déjà, je dois dire qu'il y a trop...
Par
le 24 janv. 2022
"Darius le Grand ne va pas bien", d'Adib Khorram, est un roman plein de sensibilité autour de la dépression d'un adolescent et de sa première rencontre avec sa famille maternelle, en Iran. Le père de...
le 21 janv. 2022
Du même critique
Ce roman est CLASSÉ ADULTE, ce n'est pas un roman pour jeunes adultes, encore moins pour les ados et compte tenu de la présence de relation toxique, de violence sexuelle gratuite et d'objectivisation...
Par
le 29 mai 2020
5 j'aime
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
Par
le 23 oct. 2022
4 j'aime
Cette Bd, qui a un format de roman, donne le ton dès sa couverture: deux gars qui sont appelés à se rapprocher malgré des looks plutôt différents. Même les couleurs illustrent d'emblée la douceur de...
Par
le 25 févr. 2023
4 j'aime