On ne lit pas tous les jours une étude qui a valu le prix Ig Nobel à ses auteurs… L’ouvrage complète et affine De l’art de dire des conneries de Harry Frankfurt, auquel il fait quelquefois référence, dans la mesure où il s’intéresse non pas à la production de n’importe quel bullshit (c’est le mot que traduisent conneries et baratin dans l’un et l’autre livre) mais, comme son titre l’indique, à la réception et à la détection d’un certain type de bullshit.
À l’origine se trouve « l’idée que la tendance à juger comme profonds des énoncés vagues et dénués de sens (la réceptivité au baratin pseudo-profond) est un phénomène psychologique digne d’intérêt relevant de variables susceptibles d’être théorisées » (p. 52). En d’autres termes (p. 55), « Qu’est-ce qui dans la phrase “une bonne santé injecte de la réalité à une créativité aiguisée” pousse quelqu’un à prendre un instant pour considérer plus sérieusement le sens ? »
Du coup, il faudrait que je relise le Frankfurt, dont la dimension parodique a pu m’échapper… Car la question se pose avec De la réception et détection. On y trouve ces renvois bibliographiques d’un laconisme typiquement universitaire (le nom de l’auteur suivi de la date de publication). On y trouve des comptes rendus d’enquête, avec description minutieuse du protocole, comme dans toute étude de psychologie digne de ce nom. On y trouve une kyrielle de tableaux statistiques susceptible de – destinée à ? – lasser même le plus patient des lecteurs. On y trouve la réponse d’un contradicteur (« Baratin pour vous, transcendance pour moi », de Craig Dalton) et la réponse à la réponse (« Ça reste du baratin »)…


Mais on y trouve aussi une cohérence, une rigueur dans les termes employés, et des scrupules méthodologiques que plus d’un ouvrage prétendument sérieux gagnerait à manifester – par exemple cette distinction : « le baratin conversationnel peut sensiblement différer du baratin pseudo-profond et, par extension, d’autres facteurs psychologiques peuvent en déterminer la réception et détection. Il est important pour les chercheurs que la psychologie du baratin intéresse de spécifier le type de baratin qu’ils souhaitent étudier » (p. 57).
En dernier recours, c’est la question du sens qui est traitée ici. Le lecteur regrettera peut-être que le « moyen de mesurer la réceptivité au baratin) » soit « l’évaluation de la profondeur d’énoncés censés justement en manquer » (p. 71). Il aura peut-être formulé, avant qu’elle soit exprimée par les auteurs, l’« hypothèse […] qu’une personne réflective est non seulement capable de trouver du sens où il n’y en avait pas, mais d’attribuer ce sens à ses propres efforts cognitifs et non à l’auteur présumé de l’énoncé » (p. 71). Les auteurs proposent des objections à de telles objections…
Dans tous les cas, un tel lecteur n’aura pas manqué de remarquer que les véritables cibles de l’ouvrage ne sont pas « les personnes […] moins réflexives, [qui] attestent d’une aptitude cognitive plus faible (intelligence verbale et fluide, aptitude au calcul) et sont plus sujettes aux confusions ontologiques, à l’idéation conspirationniste, aux croyances religieuses et paranormales, ainsi qu’à la médecine alternative et complémentaire » (p. 51), mais les divers pseudo-experts et vrais charlatans qui les en abreuvent – et là, pas besoin de traduction.


P.S. : L’édition française est un très beau livre.

Alcofribas
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le 22 févr. 2018

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