Décoloniser l'esprit par CorwinD

« Décoloniser l’esprit » est un bouquin que j’ai acheté un peu par hasard (pas tout à fait quand même, je fouillais les publications des Éditions de la Fabrique disponibles dans une petite librairie d’un bled paumé au fin fond de la bretagne). Étant quasi totalement inculte en matière de littérature africaine et en particulier quand elle est anglophone, je ne connaissais pas cet auteur kényan au parcours intimement lié à la décolonisation de son pays (il est né en 1938) et j’ai trouvé l’essai de Ngugi Wa Thiong’o brillant.

Comme le 4e de couverture l’explique bien, il s’agit du dernier texte en langue anglaise écrit par son auteur au milieu des années 80 avant de n’écrire qu’en kikuyu, sa langue natale, et qui fait suite à 20 ans de réflexions commencées après une « conférence des écrivains africains de langue anglaise » organisée en 62 en Ouganda et qui excluait de facto les auteurs africains écrivant en kikuyu, swahili, wolof ou une des dizaines d’autres langues parlées dans les pays sous domination européenne.

Le propos se place dans un contexte de lutte à la fois personnelle (des relations pour le moins compliquées avec le Kenya indépendant et néocolonial qui ont entraîné emprisonnement et exil) et globale, de difficulté à organiser la lutte des déshérités en parlant de la position des élites, de la diffusion du propos aux populations, de la colonisation des esprits par la langue de l’oppresseur, le tout dans un cadre de pensée teinté de marxisme.

C’est un ouvrage passionnant et nécessaire, qui brosse par le biais de la langue, de la littérature et du théâtre un portrait du rapport de l’intellectuel au monde, à son pays, à son peuple et à ses dirigeants qui mériterait de trouver un écho plus large en Europe, décentrer le regard et sortir de ses schémas traditionnels étant TOUJOURS une bonne idée.