Là où y a de l’Eugène…

Je ne pense pas être injuste envers Delacroix si je dis qu’il était meilleur peintre qu’écrivain, ce que « Des critiques en matière d’art » semble confirmer : lourdes phrases boursouflées, emballements épico-lyriques à chaque paragraphe… Ce n’est pas bien grave, hein, après tout Victor Hugo n’a jamais su jouer de la guitare électrique correctement…
Ce que ce court article de mai 1829 a d’intéressant, c’est qu’il suinte le romantisme, le premier romantisme, celui d’avant Hernani, qui ne dit pas encore son nom, qui porte avec lui les germes d’une bonne partie de l’art à venir que notre modernité n’a pas encore tout à fait éradiqués – l’artiste isolé parmi les hommes, sa mansarde glaciale en hiver et étouffante l’été, sa création au-dessus de tout, le fardeau de son intelligence / génie / talent…
En l’occurrence, les critiques font ici les frais de Delacroix. Je me plais à imaginer qu’il y a quelque chose de personnel là-dessous, « M. Delacroix nous fait vivre un calvaire » ou une formule moins cinglante, ou simplement pas à la hauteur des attentes de l’artiste dont le but est de « contribuer à l’avancement de l’art » (p. 9 du joli petit volume des Éditions de l’Échoppe), contrairement à eux et contrairement au « public, comme un roi faible qui se contente de montrer du caractère de temps en temps » (p. 12-13).
Évidemment, depuis le temps, on est revenu, de ce pays où il suffit, « pour être bon juge, de ce sens naturel qui est donné à tous le hommes organisés à l’ordinaire, et qui les avertit intérieurement de la présence de l’admirable et du détestable » (p. 11), mais on en garde un peu de nostalgie.