Dans tous les sens
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Je ne suis pas chimiste, mais j’imagine qu’il existe un liquide incolore, insipide et inodore comme de l’eau pure, mais tellement corrosif qu’il peut vous dissoudre un fossile en vingt minutes. C’est un peu à ça que ressemble le récit de Laurent Audret, qualifié en quatrième de couverture de « conte barbare ». « Ici tout est fait d’eau claire, d’une transparence telle que la réalité refroidit tout ce qu’elle touche » (p. 43).
S’il fallait résumer, Des enfants raconte une sorte d’étrange transhumance, avec en guise de cheptel des enfants anonymes recueillis / enlevés çà et là par des adultes tout aussi anonymes. En filigrane, sourde, à peine explicite et jamais exhibée, la violence exercée par les bergers sur les agneaux. Pendant ce temps, « Derrière nous, les hommes se décomposent au fond des vallées, dans la couronne lumineuse d’une ville aussi séduisante qu’un lac de boue. C’est déjà le passé, ce sort auquel ils sont destinés de toute éternité » (p. 19).
À l’aspect dérangeant impliqué par les thèmes – cette alliance entre d’une part la célébration d’une nature vivifiante et d’autre part l’évocation larvée d’une violence exercée par les bourreaux et admise non sans résignation par les victimes – s’ajoute une audace formelle qui, sans aller jusqu’à des divagations avant-gardistes, donne toute son identité à Des enfants. Des chapitres tellement ciselés et courts, jamais plus d’une page, qu’ils semblent des poèmes en prose. Et au cœur de l’angoissante ambivalence du conte, la première personne du pluriel et le pronom indéfini on, qui désignent tantôt les enfants, tantôt les adultes, donnent au texte son caractère universel, proposent une proximité qu’on prendra garde de confondre avec de la connivence, et finalement embarrassent le lecteur sans le perdre. « On est bien content pour finir d’aller cueillir d’autres enfants. C’est un peu notre existence tout ça, ne jamais connaître le vrai silence, la paix sans douleur ni soubresauts. » (p. 61)
De fait, l’autre sujet du récit de Laurent Audret, c’est peut-être le langage, un peu comme si l’intrigue jouait la basse continue d’un lied funèbre dont le style exécuterait la mélodie. « Une entorse n’est pas grand-chose en comparaison de répéter indéfiniment son enfance avec la prudence méthodique des lâches » (p. 14) ; et une intrigue n’est peut-être pas grand-chose sans une langue pour la bâtir.
En refermant Des enfants, j’ai pensé au Puits d’Iván Repila. Les deux récits dressent de l’enfance un tableau extrêmement noir. Et surtout, ils me semblent la métaphore de quelque chose. De quoi ? Je reconnais n’en rien savoir. Mais les extraits dont j’ai parsemé cette critique, entre autres, m’empêchent d’en douter.
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Créée
le 4 avr. 2017
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