D’entrée, quiconque connaît le football voit que l’auteur connaît le football. Le glossaire en fin d’ouvrage est un modèle de vulgarisation, si bien que le lecteur dépourvu de culture footballistique acquerra vite fait, bien fait tout ce qu’il faut pour comprendre l’ouvrage. Enfin, l’amateur de football qui ignore tout de la sociologie y trouvera son compte, pour peu qu’il ait un minimum de curiosité, et assez de lettres pour remplir une feuille de match… Des footballeurs au travail est peut-être même le seul ouvrage de sociologie que vous pourrez faire lire à votre coéquipier qui ne lit jamais de livre. (Quant au lecteur qui connaît la Ligue 2, il ne s’empêchera pas de chercher quel club se cache sous le nom de « l’Olympique »…)
Des footballeurs professionnels étudiés sous l’angle du travail salarié : le titre dit tout. (La quatrième de couverture montre pour sa part la seule marque de racolage du livre, racolage dont les éditions Agone ne sont par ailleurs pas coutumières.) Au choix du lecteur, Des footballeurs au travail se placera donc dans les catégories « sociologie du travail » (sous-catégorie « salariat ») ou « sociologie du sport » (sous-catégorie « football »).
On ne trouvera donc ici aucune remarque sur la formation ou sur le football amateur – ou alors occasionnellement, lorsqu’il s’agit de les mettre en comparaison avec le football comme travail –, ni sur le football international – un chapitre ou un encadré sur le sujet n’aurait pas déparé. Quant aux interactions sociales au cours des matches, elles ne sont jamais évoquées, alors que n’importe quel spectateur, même occasionnel, et a plus forte raison n’importe quel joueur, savent qu’il existe des codes sur un terrain aussi bien que dans un vestiaire ou à l’entraînement. D’une manière générale, l’adversaire – l’équipe adverse, le joueur qu’on a au marquage, celui face à qui on dispute des duels – est totalement occulté dans Des footballeurs au travail. C’est peut-être regrettable. (Cela dit, j’imagine bien les problèmes de méthode que poserait un tel travail.)
Mais c’est précisément l’un des propos de Frédéric Rasera que de montrer que le métier de footballeur s’inscrit dans un rapport d’opposition / émulation par rapport aux collègues de travail. Cette idée est le fil conducteur des sept chapitres, consacrés en gros et respectivement à la répartition des rôles dans l’entreprise, à la concurrence proprement dite, aux rapports avec l’extérieur, à l’entraînement, aux blessures et à l’« amitié professionnelle ». (Une partie de ces analyses, d’ailleurs, peut être transposée à l’univers amateur.)
Une autre idée-clé est celle selon laquelle les footballeurs professionnels sont avant tout des travailleurs, ce que corrobore le choix, comme terrain d’enquête, d’un club du ventre mou de la Ligue 2 plutôt que d’un « grand d’Europe ». (Et le fait que l’ouvrage soit publié par les éditions Agone trouve ici son sens.) Là encore, l’idée peut être contestée, les footballeurs pouvant sembler des marchandises avant d’être des salariés, mais elle reste suffisamment sérieuse pour écarter les clichés sur le monde-à-part-des-footballeurs-nantis, et suffisamment féconde pour produire un travail sociologique de bonne tenue.
Des footballeurs au travail est par ailleurs d’une clarté exemplaire.

Alcofribas
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le 15 déc. 2016

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