Choisis la pilule rouge : tu restes au Pays des Merveilles et on descend avec le lapin blanc au fond

On peut choisir un livre pour différentes raisons. Parce qu’on apprécie l’auteur, ou l’éditeur, ou les deux. Parce que le sujet ou le résumé nous interpelle. Ou alors parce que la couverture nous saute à la figure.
Dans le cas de Désert noir, c’est d’abord la couverture qui m’a scotché. Rendons à César etc., elle est l’œuvre de Théophile Navet, dont je vous encourage à découvrir le travail sur son site internet.
Ensuite j’ai vu l’éditeur, et là j’étais foutu. Obligé d’y aller.


Ce voyage, je l’ai mené sans regret, car Désert noir est un excellent roman. Pas étonnant puisqu’il sort des Forges, encore faut-il expliquer pourquoi.
Comme la plupart des titres publiés sous l’égide de Vulcain, c’est un livre hybride. Il ressemble à ce qu’on peut attendre de lui d’après son résumé, tout en surprenant plus d’une fois.


Désert noir est avant tout un formidable polar. Rythmé, intense, qui explose lors de scènes d’action (l’assaut du 36 Quai des Orfèvres, mes amis, c’est du grand art) au suspense irrespirable.
Et c’est du noir de chez noir, suant de violence et de désespoir, hanté de personnages complexes et déterminés à aller jusqu’au bout de leurs choix et de leurs erreurs.


Un casting de figures souvent terrifiantes que leur créateur parvient toujours, néanmoins, à envelopper d’humanité, pour aider à comprendre ce qui les a amenés sur ces sentiers menant tous plus ou moins à la perdition.
Ne jamais se limiter à dire, par exemple, que les « méchants » sont des monstres, facilité de Grand-Guignol, mais au contraire chercher, cerner, expliquer d’où vient le bug dans le programme, et donner de la lumière à ces âmes crépusculaires.
Quant aux autres, les chercheurs de vérité, ils équilibrent la balance en y déposant des sentiments qui toujours nous aident à résister. Amour, tendresse, solidarité, pugnacité, dévouement.


Si ce n’était que cela, ce serait déjà très bien. En artificier prêt à prendre des risques pour que le feu d’artifice éblouisse, Adrien Pauchet pimente sa matière première avec une pincée d’échappée, un courant d’air surnaturel qui désincarcère l’intrigue de sa composante policière pour ouvrir des portes fascinantes sur une certaine idée de l’au-delà.


Avec son histoire de pilule – au nom symbolique d’Orphée – autorisant celui qui la prend à revoir ses chers disparus, le romancier pare d’un léger argument fantastique un récit puissant et empathique dont le propos est d’aller fouiller tout au fond des âmes pour en exfiltrer les chagrins.
Désert noir est, au fond, un livre bouleversant sur le manque, la douleur de l’absence, les blessures impossibles à cicatriser des deuils déchirants.


Construit sur une savante alternance de points de vue qui balance le lecteur aux quatre coins du ring pour mieux tout saisir du combat, jouant à l’occasion de la forme en faisant exploser le texte au moment de basculer dans le monde de l’Orphée, Désert noir est un roman intense, parfois perturbant, qui nous questionne sur les béances du cœur et sur ce que nous serions prêts à faire pour réparer l’irréparable, si jamais la chance nous en était offerte.


Une belle expérience de lecture, intensive et poignante, qui imprègne la mémoire de ses images vertigineuses et de ses tourments.

ElliottSyndrome
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le 7 avr. 2021

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