Je découvre Jean Hatzfeld avec ce roman pioché au hasard dans une boîte à livres. Me basant uniquement sur l'illustration de couverture, je pensais qu'il ne serait question que de sport et de compétition, et quelle ne fut pas ma surprise de constater qu'il s'agissait de bien plus que cela !
Pour mon plus grand plaisir, les 3/4 du roman se situent en Russie pendant la décennie 1975/1985 donc sous gouvernance soviétique. Et pour une fois, il ne s'agit ni de Moscou ni de Petersbourg mais du méconnu Kirghizistan, terre d'élevage de moutons et de chevaux sauvages, rude pays asiatique martyrisé par Staline et ses camarades successeurs.
A travers le destin croisé de quatre athlètes - deux sauteuses en hauteur et deux haltérophiles -, c'est une véritable fresque historique que Jean Hatzfeld déroule sous nos yeux, décrite par un verbe sobre et percutant. Remarquablement écrit, "Deux mètres dix" oppose intelligemment les deux blocs ennemis en fin de Guerre Froide sur le tartan des stades olympiques. Si on y songe quelques instants, c'est un angle très perspicace quand on sait la place démesurée et la symbolique à l'avenant que la compétition sportive revêt encore aujourd'hui pour ces deux blocs antagonistes. La course aux étoiles et le sport. Du rêve et des jeux. Au prix de quelles souffrances pour les athlètes, sacrifiés sur l'autel des intérêts géopolitiques ?
Mais l'auteur parvient avec talent et sensibilité à réunifier ceux que l'Histoire ne parvient toujours pas à concilier. Et en plaçant ses héroïnes dans la posture aérienne du saut, et ses héros dans l'ancrage primal du portage de fonte, Jean Hatzfeld rend aussi un hommage qui ne manque ni de délicatesse ni de respect à ces champions portés aux nues puis ensevelis dans l'oubli.
Une fiction réaliste bien documentée et aux personnages attachants. Mon premier coup de cœur de l'année.