Rodolphe Barry évoque ici la vie intense et tumultueuse de Raymond Carver : un mariage trop jeune, une vie de famille subie, la précarité, les galères, les déménagements incessants et surtout l’alcool. Mais plus que tout, c’est une plongée dans l’intimité et le coeur de celui qui, avant de devenir l’une des grandes voix de la nouvelle américaine, aura mené une lutte perpétuelle contre lui-même pour se trouver et devenir l’écrivain qu’il a toujours senti en lui.
A la lecture, on découvre et on ressent toute la fragilité et la souffrance d’un homme qui n’a eu de cesse d’être tiraillé entre son besoin d’écrire, sa famille, l’amour de ses proches et son envie de fuir une vie qu’il n’a pas voulue, avec comme unique échappatoire : l’alcool, seul moyen pour lui de dissiper ses peurs et ses doutes sur un avenir incertain. L’alcool qui finira par lui faire toucher le fond.
Il s’en sortira, il sera “un survivant” et il connaîtra une deuxième vie, marquée par sa rencontre avec la poétesse Tess Gallagher, une période d’apaisement, de réconciliation avec lui-même mais également avec ses proches qui lui permettra de donner le meilleur de son art et d’accéder enfin à la reconnaissance. Une vie désormais entièrement dédiée à l’écriture mais qui se révélera trop courte : à 50 ans, il décède suite à un cancer du poumon.
"Devenir Carver" est l’histoire de la naissance de cette voix singulière qui s’attachera tout au long de sa vie à raconter les “petites gens”, nourri de ses propres expériences, de ses fêlures. Une voix qui ne va cesser de grandir et de s’affirmer au fil des années et des rencontres.
A travers son histoire, nous sommes transportés au coeur de la création littéraire : L’urgence de l’écriture, le travail acharné, les frustrations, les doutes, les remises en question, les échecs… mais aussi la libération par l’écriture, la littérature, le partage, la reconnaissance et surtout la certitude de faire ce à quoi l’on est destiné.
Ici, l’homme et l’écrivain ne font qu’un, se confonde (voir sa lettre à son éditeur Gordon Lish). On découvre également les rouages du travail éditorial et des relations auteur/éditeur (on repense d’ailleurs au remarquable "Ciseaux" de Stéphane Michaka).
Avec Carver, on se prend à osciller au fil des pages entre euphorie et désespoir, excès et raison, tourment et plénitude.
C’est beau, douloureux à certains moments, le tout porté par une écriture intimiste tout en sobriété et l’on en ressort bouleversé. Un grand coup de coeur.
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