"Mon nom exact est Daniel Smart Fante."
« Mon nom exact est Daniel Smart Fante. Je suis né le 19 février 1944, deux ans et vingt jours après mon frère. »
Livre de famille
Depuis sa création en 2008, les éditions 13e Note se sont lancées dans l’audacieuse entreprise de se spécialiser dans les récits trash nimbés de drogue, d’alcool et de violence. Dans leur catalogue hétéroclite, on compte quelques signatures de renom comme Charles Bukowski ou James Fogle (camé et taulard dans l’âme à qui l’on doit le roman « Drugstore Cowboy », adapté par Gus Van Sant en 1989).
Parrain de cette maison d’édition, Dan Fante a vu nombre de ses ouvrages édités ou réédités à commencer par « Régime Sec » (premier livre des éditions 13e Note) ou encore « En crachant du haut des buildings » (précédemment paru chez Christian Bourgois).
Le dernier paru, « A family’s Legacy of Writing, Drinking and Surviving », traduit en français par « Dommages collatéraux : l’héritage de John Fante », a vocation de Mémoires.
L’origine d’une violence
A travers ce livre autobiographique, Dan Fante revient sur une vie faite d’errance et de coups durs, mais magnifiée par une vocation trouvée sur le tard, celle d’écrivain, qu’il embrasse alors qu’il a déjà 45 ans. C’est également l’occasion pour lui de dresser un portrait de son père, John Fante, génial écrivain méconnu de son vivant, ainsi que de son ancêtre, tout droit venu d’Italie.
Car l’histoire des Fante prend racine à la fin du XIXe siècle, dans les Abruzzes, par le biais de Pietro Nicola Fante, venu ensuite tâter du rêve américain. Ce grand-père fouettard, rustre avec sa femme, violent avec tous les autres, semble tracer le sillon d’une famille rongée par ses fantômes et adepte de spiritueux.
Un enfant solitaire qui découvre l’alcool...
Confortable, la vie des Fante à Los Angeles est faite de frustrations et de ressentiments. Sous le vernis d’une vie de famille idéale, poignent bisbilles et faiblesses.
C’est en scénariste que John Fante s’est accompli, si l’on peut dire. Un job alimentaire efficace afin de nourrir la famille, sa femme ainsi que sa progéniture, dont le fils replet, Dan.
En petit gros de service, Dan ne parvient pas tellement à s’épanouir parmi les siens. Il est constamment tyrannisé par un frère aîné (Nick) qui semble vouloir sa mort.
A peine est-il en âge de ne plus têter le sein de sa mère que le petit Dan va faire la découverte d’un autre type de boisson :
« J’ai pris ma première cuite à l’âge de quatre ans. En général, on retient de son enfance les goûters d’anniversaire, le meilleur copain ou l’animal favori. Pas moi. Mon plus beau souvenir est l’état dans lequel j’étais le jour où j’ai descendu deux grandes chopes de bière en céramique à moitié pleines qui traînaient sur la table basse du salon. »
Un épisode qui ne marque le jeune Dan au fer rouge. L’alcool sera désormais pour lui l’élixir de l’ivresse et de la fuite.
Et un père qui se dégoûte
Peu enclin à s’intéresser aux études et ce dès son plus jeune âge, Dan goûte cependant à l’écriture alors qu’il est adolescent. Son père, peu amène, lui donne un conseil particulièrement acerbe:
« Ecoute, fiston, il vaudrait mieux que tu te concentres sur tes putains de devoir d’école. Ta mère me dit que tu as quatre D sur ton dernier carnet. Une abomination ! Regarde les choses en face, tu n’es pas un génie. Ce que je te conseille, c’est d’oublier ces conneries et de t’appliquer pour avoir de meilleurs résultats à l’école. »
Violent, n’est-ce pas ? Mais quoi de bien étonnant venant de la part d’un homme qui a toujours eu des difficultés à totalement croire en son potentiel littéraire et romanesque. Ce dernier note d’ailleurs dans une dédicace :
« Pour Esther
De la part de cette pute d’Hollywood, d’un artiste vendu et qui pue, d’un poète sans talent, d’un imposteur pourri – ce lèche-cul payé par la Paramount pour le dégueulis parfumé à la rose que pourra chuchoter Dorothy Lamour…
Cette dédicace avec l’espoir qu’un jour, bientôt, il vous en écrira une autre, moins amère, sur la page de garde d’un livre vraiment génial. »
Entre bourlingue et déglingue
Pour Dan Fante, la vie se situe ailleurs, hors des salles de classe ternes burinées par le soleil Californien. Son parcourt d’autodidacte chaotique l’amène à incruster les forains puis à partir pour New-York, ville de la hype ou tout est possible.
Dans cette ‘autre’ capitale des Etats-Unis, il commence à faire des jobs divers. Représentant de commerce, chauffeur de taxi, détective privé, vendeur à la sauvette, chauffeur de limousine…
Dan Fante a roulé sa bosse. Ces années de démerdes étaient rythmées par des cuites féroces et des parties de baise intermittentes. Oscillant entre petites amies et prostituées, son train de vie l’amène à faire des rencontres plus ou moins salutaires. Il se fait violer, à travers un épisode traumatisant qu’il retrace par le menu.
C’est principalement afin d’occulter cette agression qu’il se prend biture sur biture. Mercurochrome sur jambe de bois. Et même si ses tentatives de désintoxication se révèlent parfois fructueuse, Dan est toujours sur la corde raide. Il n’est jamais bien loin de l’autodestruction.
C’est finalement l’écriture et une discipline de fer qui lui ont sauvé la vie, contrairement à son frère, resté alcoolique jusqu’à ce qu’il se perfore l’estomac.
Ecrivains père & fils
« Dans ma vie, j’ai eu la chance de connaître personnellement mes trois principales icônes littéraires : mon père, Charles Bukowski et Hubert Selby Jr. »
C’est à la fin des années 70 que l’œuvre de John Fante est redécouverte par le public. On peut remercier Ben Pleasant et Charles Bukowski d’avoir donné un second souffle à cette œuvre à part.
« En 1973, Ben Pleasant, un écrivain-poète-journaliste, Ben Pleasant, avait demandé à son copain de biture, Charles Bukowski, quel écrivain l’avait le plus influencé. […] Bukowski a répondu sans hésiter : « John Fante », le désignant comme « le meilleur auteur contemporain vivant ». Son mentor en littérature. »
Avec ce succès tardif, le fils admiratif voit son père réhabilité dans le domaine des lettres américaines. Plus qu’un soulagement, il s’agit là pour lui d’une profonde liesse et d’un juste retour des choses.
« Un écrivain français »
« Fils de » sans réellement en être un, Dan Fante est devenu un « écrivain français » tardivement. Initialement édité par Robert Laffont, il s’est constitué un certain lectorat de ce côté de l’Atlantique en adoptant un style direct, sans fioriture. Paradoxalement, son père avait pressenti les choses bien plus tôt, lorsqu’il lui écrit en 1960 :
« J’ai été heureux de recevoir ta lettre. Merci d’avoir pris le temps d’écrire à ton vieux père amoché. Elle est belle, ta lettre, au fait – nette, limpide, allant droit au but, à l’essentiel. Tu es peut-être un écrivain, comme moi. Penses-y… »
Avec « Dommages collatéraux » Dan Fante en met plein la tête en invoquant une palette d’émotion particulièrement riche. A la fois brutal et drôle, cruel et tendre, ce livre est un véritable hommage à une famille de ritals violents et alcooliques. Ce tableau de wops qui s’aimaient en silence, avec maladresse, prend aux tripes.
Il rappelle aussi que les spectres du passé ont beau laisser leur lot de nostalgie, de dégâts et de regrets, elles sont souvent constitutives d’une chose plus importante : une identité.