Évoqués déjà dans de nombreuses critiques, certains points ne peuvent être occultés quand on parle de Dr Adder. Sorti à quelques mois d'intervalle du Neuromancer de William Gibson, sa rédaction a été achevée 12 ans plus tôt. Parler de précurseur est trop réducteur tellement ce roman était en avance sur son temps. La postface de René Marc Dolhen nous en apprend plus sur le contexte dans lequel le roman est publié et ce qu'il signifie pour la science fiction. A la lecture, il est évident que son côté sulfureux n'a rien de racoleur, mais que le sexe et les perversions sont au cœur de cette image de l'Amérique tiraillée entre puritanisme religieux et dépravation sexuelle.
C'est donc un roman important dans son mouvement, mais de quoi parle-t-il ?
Parti de Phoenix et plus précisément de son unité de ponte, sorte d'usine à œuf où les poules servent autant à la production qu'à assouvir les désirs sexuels des employés, E. Allen Limmit se voit investi d'une mission. Il doit partir pour Los Angeles, et plus précisément pour l'interface afin de remettre un colis au Dr Adder, sorte de héros local, chirurgien plastique spécialisé dans la transformation des prostituées selon leurs désirs cachés au plus profond de leur subconscient auquel il accède grâce à la drogue. Rapidement on voit apparaître la lutte, non pas entre le bien et le mal, mais entre les fous et les fous, l’Amérique puritaine contre les milieux underground dépravés.
Mais si le roman a fait parler de lui et a tant tardé à être publié c'est qu'en 1972, l'auteur K.W. Jeter expose au lecteur la face sombre de toutes les composantes de l'Amérique. Si certaines prédictions se sont avérées, il décortique autant ce qui s'est passé que ce qui pourrait se passer. Les télé-évangélistes, l'omniprésence de la drogue et de la prostitution, la chirurgie esthétique, la starification des figures "underground". Même le héros, Limmit, décrit comme un bouseux notoire est un archétype d'un Américain rural ignorant. Parti chercher quelque chose -mais quoi- à L.A. là où les lumières brillent surement trop fort et risquent de le brûler. Plus qu'un simple transporteur, Limmit nous offre un regard extérieur et envieux, un regard interloqué qui pourrait être celui du lecteur sur cet environnement. Seulement, dans cette Amérique il faut choisir son camp, il n'y a pas de no man’s land. Et on le voit lorsque qu'il parcourt l'interface (sorte de Strip de Las Vegas) et qu'il se félicite d’en faire enfin parti.
Je serai bien étonné si Jeff Noon n'avait pas lu ce roman. Les similitudes entre le Manchester de Vurt et le Los Angeles du Dr Adder sont nombreuses. Vous lirez aussi que ce roman est l'alpha du cyberpunk. Les aspects "technologiques" traditionnels du cyberpunk sont rares. Ecrit 10 ans avant Neuromancer, l'auteur n'a pas cette vision de ce que pourrait devenir l'informatique et les mondes virtuels. Ce n'est qu'à la toute fin que l'on sent poindre le traitement du "réseau" caractéristique du genre. Ce qui fait un roman beaucoup plus « punk » que « cyber ». Mais qu'importe, sans faire le procès de Neuromancer, préférez le Dr Adder, bien plus agréable à lire et beaucoup plus drôle.
Dr Adder est étonnamment facile à lire, son rythme légèrement poussif à l'installation de l'intrigue - qui correspond aux découvertes du Héros - s'intensifie à mesure que Limmit s'enfonce dans les méandres de Los Angeles. A vouloir toujours en faire plus, certains passages sont assez longuets - je pense particulièrement aux égouts. Le roman finit en apothéose lors d'un combat final un peu cliché mais devenu indispensable par la direction empruntée par l'intrigue malheureusement sans réelle surprise. Quitte à traiter ces thèmes de cette façon dommage que le style n'ait pas apporter plus de folie dans la construction.
Un roman imparfait mais qu'il faut lire autant pour le divertissement qu'il offre que par sa place dans son genre: 8/10
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