Von Keyserling est l’écrivain de la Courlande, cette province balte du vieil empire russe principalement remplie de bois humides de lettons et d’une part non négligeable d’aristocrates allemands plus raides que le premier junker qui passe. Dans ce drôle de pays qui semble ne jamais avoir existé, on meurt beaucoup, souvent en pleine nature : une nuit on se laisse glisser dans un étang, ou alors on s’adosse à un arbre et la vie vous quitte, comme ça, légèrement, sans en faire trop. La mort est la simple manifestation de l’ordre des choses, le suicide la façon la plus digne de « faire avec »… Dans Dumala, qui n'est pas un turban indien, mais un roman de Keyserling, c’est cette nature et son poids ontologique qui font toute la différence. L’intrigue est simple dans le compliqué : une baronne est aimée de quatre soupirants — un jeune, un vieux, un beau, un pasteur — rien de bien foudroyant. Là où tout devient un peu électrisant, c’est que notre baronne et ses soupirants, outre les intermittences de leurs sentiments, font aussi avec les caprices de la nature. On les voit errer dans les jardins, hanter le bord des étangs, se perdre en pleine forêt avec la nuit qui descend et le monde qui s’éloigne. Là est l’essentiel (c’est l’enfance de Keyserling), me semble-t-il.