Je n’ai jamais lu Feuilles d’herbe. Mais je sens après avoir lu ces récits de jeunesse que Whitman va être le nouvel écrivain que je vais aimer détester.
Admettons qu’il y a dans ces récits une certaine puissance d’évocation. Après tout, il y en a chez plus d’un romantique mineur de 1800 ou 1820. (Il ne manquerait plus qu’ils n’en aient pas…)
Admettons qu’on y trouve encore une certaine cohérence : le format, l’unité d’action, l’omniprésence de la mort.
Admettons encore que Whitman a eu raison de n’autoriser la publication de cinq des six récits formant cette édition française que tardivement, une fois Feuilles d’herbe publié, et pour prendre de court « des lecteurs trop curieux, tentés par l’archéologie littéraire » (préface de la traductrice, p. 112). Il y a peut-être un autre motif, d’ailleurs, à ce geste : on peut accomplir de bonnes choses pour de mauvaises raisons, et Whitman n’est pas le genre d’hommes à lésiner sur l’auto-gratification mâtinée d’hypocrisie. Mais là encore, on a quelquefois vu pire.
Non, clairement, ces Écrits de jeunesse sont saturés de moraline. C’est tellement larmoyant qu’on croirait parfois lire du mauvais Dickens : « des scènes d’une extrême brutalité, bafouant la timide innocence d’une enfance délicate et impuissante » (« Mort à l’école », p. 10). C’est très premier degré, évidemment, car comme la plupart des manipulateurs Whitman fuit tout ce qui pourrait ressembler à de l’humour : « Jeunes gens ! Écoutez le vieillard que je suis vus conter une histoire qui vous concerne directement – car un jour vous serez vieux à votre tour » (« Le Garçon amoureux », p. 93). C’est parfois complaisant dans l’évocation de ces figures de l’innocence violentée : voir la troisième nouvelle, « L’Enfant et le Libertin », et tous les symboles que l’on pourrait sans aucun mauvais esprit y trouver.

Alcofribas
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le 26 déc. 2016

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