C'est le troisième bouquin de Jon Krakauer que je critique ici, après le très bon "Into the Wild", dont le titre au moins est connu grâce au film, et l'excellent "Into thin Air" qui racontait la terrible expédition de 1997 sur l'Everest et qui fut aussi porté au cinéma. "Eiger Dreams" n'est pas une enquête ou un compte rendu, comme les deux autres, mais une série d’articles sur la montagne, sur ceux qui la défient, et ceux qui s'y perdent aussi. Très bien écrit comme d'habitude , dans son style journalo-romanesque, le livre nous livre, plus que les clés de l'alpinisme en tant que pratique, les dessous en filigranes de la passion pour ce milieu hostile qui vous charme et vous menace tout à la fois.
Le livre est composé de 12 articles publiés en gros entre 1984 et 1994, qui se lisent donc de manière indépendante. Les chapitres sont parfois consacrés à des gloires de l'alpinisme (comme ce chapitre sur John Gill, extraordinaire grimpeur dont le titre de gloire est entre autre d'avoir inventé un nouveau sport - le bouldering - et de ne jamais grimper plus haut que 6 ou 7 mètres!) ou parfois sont centrés sur une montagne particulière (comme sur l'Eiger, ou sur le K2). Que le récit se concentre sur l'alpiniste ou son milieu, Krakauer y distille toujours des éléments historiques ou techniques, qui permettent de considérer l'évolution de ces pratiques. Que ce soit pour décrire des "grands anciens " ou de nouvelles "têtes brûlées", il place toujours leurs exploits dans la continuité de cette activité historique qu'est la conquête de l'espace-montagne. Beaucoup de recherche d'archives, des témoignages, et des rencontres aussi. Le grimpeur qu'est Krakauer (ses expériences personnelles et souvent amusantes donnent un ton vécu à cet ouvrage) n'oublie pas de rechercher activement ses sources, en bon journaliste.
Le livre est passionnant, et j'ai eu plaisir à retrouver sous la plume de l'Américain les noms de ces grimpeurs français qui m'ont toujours fascinés, comme Terray, Profit, Voisin, ou le grand Patrick Edlinger (le bouquin traite des années 80-90, je le rappelle), et de découvrir les carrières de grimpeurs américains que je connaissais moins.
Le contenu n'est pas un catalogue de grimpeurs, rassurez-vous : Krakauer consacre quelques pages à la découverte de ces sommets que l'on crut pendant quelques temps plus hauts que l'Everest, ou encore il nous donne un chapitre sur le... canyonning. De manière plus tangente, il se penche aussi sur ces pilotes fous d'Alaska qui se posent sur les glaciers pour y amener les autres fous en crampons :-) Après des pages sur l'art suicidaire du ice-climbing, un chapitre est consacré à l'ennui sous la tente, cet exercice difficile qui menace tout montagnard lorsque le beau temps refuse de se manifester. Croustillant.
Mon chapitre préféré est intitulé "Chamonix" est traite de la "faune" fêtarde et alcoolisée et complètement casse-cou qui habitait le village alpin dans les années 80. Krakauer y compare, ce qui m' a surpris, la prudence des Américains à une certaine flamboyance (et snobisme il faut bien le dire) des spécialistes français. Il nous apprend que là où les Etats-Uniens comptaient 400 parapentistes dans leurs rangs, la France en arborait déjà plus de 12 000, en une joyeuse... heu...hécatombe. L'amour du risque nous dit-il en substance est une caractéristique bien française à cette époque.
Il y a beaucoup à dire et je préfère vous laisser découvrir tout cela, car vous l'aurez compris, je recommande cette lecture à tous les amoureux de varappe et de montagne, folks et folksettes.