La griffe du maître
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L'essence de l'homme est-elle vile et sale ? Dans l'existence de Gaza, les vies humaines sont pareilles à des coquilles vides qui se recroquevillent pathétiquement sur leur propre survie. Les crispations désespérées des migrants qu'il capture avec son bourreau de père renvoient au jeune homme l'image de sa nature profonde : celle d'une âme monstrueuse, condamnée au désespoir et à l’échec. Traumatisé par une enfance volée et une virée dans les abîmes cadavériques, Gaza déambule de page en page comme un mort-né, traînant sa pensée de frustrations bouillonnantes en mutismes maladifs.
L'encre d'Hakan Gunday est épaisse. Ses mots sont autant de rasoirs qui tranchent les non-dits d'une société turque piégée et grise. Pourtant, la poésie effleure à chaque paragraphe. Elle nous rappelle que le combat intérieur que livre Gaza à ce démon vicieux et sadique est aussi inaltérable que beau. Le malaise existentiel qui l’emprisonne dans une aigre solitude le conduit progressivement aux portes de la destruction. Fou, il l'a toujours été peut-être, mais sous ses strates de violences accumulées a couvé un désir viscéral de vivre, de se libérer, d'aimer. C'est cette incapacité à aimer son prochain qui mène Gaza dans l'addiction (sulfate de morphine, mon ami) et la recherche perpétuelle de la destruction humaine, dont la pratique collective du lynchage représentera le décevant aboutissement. Bien que prisonnier de lui-même, Gaza se fuit constamment. Sa lâcheté est la conséquence de ses remords, de son existence jonchée de pertes :
La perte d'une mère inconnue, d'un père, Ahad, qui n'a jamais cru en lui et ne l'a jamais écouté, d'un ami fugueur parti à jamais, d'un jeune afghan, Cuma, tué de ses propres mains et dont l'origami de grenouille hante sa conscience, d'une jeune femme violée jusqu'à l'âme, etc.
Dès le départ, on sent que la détresse de ce personnage incroyablement bien tissé ne trouvera de salut que dans la mort. Cette mort qui l'a tant fasciné et effrayé, qu'il a tant provoquée et côtoyée, s’avérera salvatrice. C'est ce que nous révèle la dernière phrase de ce très puissant et dur roman :
Je considérai le vide grandiose qui s'ouvrait en moi et me relevai.
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Créée
le 27 avr. 2019
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