La griffe du maître
Oranssi Pazuzu, c'est une plongée toujours plus intense dans les ténèbres du mental, et une montée toujours plus folle dans l’intuition créatrice. Voilà ce qui pourrait définir la trajectoire des...
le 13 mai 2020
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Oranssi Pazuzu, c'est une plongée toujours plus intense dans les ténèbres du mental, et une montée toujours plus folle dans l’intuition créatrice. Voilà ce qui pourrait définir la trajectoire des finlandais d’Oranssi Pazuzu depuis leur premier album en 2009, le déjà-remarquable Muukalainen puhuu.
Dès ses débuts, la sombre troupe a affiché son ambition de marier la force nihiliste du black metal scandinave avec l'introspection hypnotique du rock psychédélique. Bercés par les sons progressifs lancinants, presque krautrock (le groupe cite notamment les très bons Circle comme une influence majeure), Oranssi Panzuzu a porté en lui l'espoir d'un renouveau dans le monde du metal. De sombres incantations qui sondent la folie de l'homme, un sens de l'occultisme très fin qui délaisse les sempiternels clichés antéchristiques du black metal, une appétence prononcée pour l'expérimentation psyché et les patchwork sonores ... voilà Oranssi.
Après l'immense Värähtelijä sorti en 2016, puis une collaboration passionnante avec le groupe de Doom jazz de Dark Bouddha Rising (sous le nom "Waste of Space Orchestra"), les démons oranges reviennent avec cette dystopie sombre qu'est Mestarin Kynsi. "Les griffes du maître". L'album dépeint un monde dominé par un dictateur terrifiant qui contrôle les masses par l'esprit, par une sorte de télékinésie funeste. Voilà un terreau sci-fi horrifique d'exception pour que l’opulence artistique du groupe se répande dans nos subconscients affamés de noir spiritualisme.
Le résultat est tout simplement étourdissant. Jamais un groupe de black metal -dont ils ne partagent désormais plus que les profondes racines, tellement ils ont dilaté le genre à l'extrême- n'avait fouillé aussi loin dans le trip sensoriel. A la fois très mélodique et dissonant, lancinant et bouillonnant, Mestarin Kynsi est un album-somme qui transpire le talent, la passion, l'audace et la liberté à chaque recoin de ses compos.
Inclassables, imprévisibles, les titres forment un flux qui s'enchaîne avec une beauté rare. Il serait incongru de les analyser à part tant ils s'unissent dans un seul et même méandre mental à la puissance si évocatrice que les paroles en finnois (magnifiquement scandées par Juho ‘Jun-His’ Vahanen) ne constituent guère une barrière pour apprécier l'oeuvre.
L'auditeur est plongé de toute son âme dans cette immense transe psychédélique qui ondule et gronde, se répète et se désosse. Les ambiance distillées nous font côtoyer le gouffre de cette technocratie psychique où dansent des symphonie psalmodiées, du space rock liquide,de sombres distorsions organiques, des incartades progressives d'antan, des modulations synthétiques.Tout s'entremêle, se rejoint, s'agglutine dans cette musique devenue catalyse cosmique. On est définitivement au delà du rock et du metal, et le sens de "voyage musical" ou de "concept album" prennent ici toute leur grandeur.
Aucune comparaison ne semble désormais possible, et là où autrefois on sentait bien la patte d'un Ihsahn ou d'un Virus, Mestarin Kynsi parachève la mue d'un groupe qui a enfin vécue sa transcendance intérieure. Chaque écoute secoue tellement qu'il nous paraît ensuite fade de retourner dans les gimmicks éculés de bien des groupes de black metal ou de prog ....
Mestarin Kynsi hante, hante, hante. C'est un voyage transpersonnel d'une beauté tourmentée. C'est une chaude tribulation tribale au cœur d'une immense entité spirituelle. Un chef d'oeuvre de l'esprit humain.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste De fraîches flâneries feutrées (top albums 2020 annoté)
Créée
le 13 mai 2020
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