Elles sont au cœur d'un débat abscons, qui se veut public mais auquel le public en question ne comprend rien car personne n'a jamais pris la peine de lui expliquer de quoi il retourne précisément. Ces nanotechnologies sont ici présentées dans leurs moindres détails, et parce qu'elles sont en réalité beaucoup plus simples que ce que les journalistes profanes veulent bien nous le faire croire, l'explication de leur nature réelle ne prend pas plus de 50 pages.

Vous avez bien lu 50 pages. Pas une de plus. Et sur presque sept fois ce nombre au total. Parce que le reste de l'ouvrage se consacre à évoquer les fantastiques possibilités que suggère un tel moyen technique. Des possibilités qui défient l'imagination. Croyez-moi sur parole. Pourtant j'ai l'habitude de rêver, mais même après avoir lu des centaines de livres de science-fiction, je n'aurais pas soupçonné – même pour une seule seconde – que la plupart des potentialités avancées ici sont dans le domaine d'un possible aussi proche de nous.

Ce qu'échafaude Eric Drexler dans cet ouvrage n'est rien d'autre qu'un moyen d'altérer la texture même de la réalité, à travers la recombinaison de ce qui la définit, c'est-à-dire les atomes. Et à l'aide de machines à peine plus grandes, donc tout à fait minuscules, bien plus petites que des virus ou des bactéries, voire même que de simples molécules. Des nanomachines donc, d'abord obtenues à travers les techniques des chimistes, et qui sont programmées pour en assembler d'autres. Non par centaines ou par milliers, mais par millions, et même plus...

Avec une telle masse d' »ouvriers », même plus que microscopiques, et pour peu qu'ils soient eux aussi programmés convenablement, aucune tâche ni projet n'est impossible. Leur matière première ? N'importe quel atome des environs, qu'ils combineront avec d'autres afin d'obtenir des molécules à la complexité qu'aucune méthode plus traditionnelle permettrait d'obtenir. Et à partir de ces molécules, des ensembles bien plus vastes, jusqu'à former des objets complets : outils, machines, véhicules... Fabriqués à partir de rien, ou presque. Et sans aucune pollution.

Bien sûr, il y a des limites. Celles qu'a cerné la physique quantique par exemple, mais elles ne devraient pas poser trop de problèmes non plus : les nanotechnologies travaillent en général à partir d'ensembles trop gros pour ça. Mais en dépit de toute la force de conviction que peut déployer l'auteur à travers ses explications et ses exemples, tous très bien documentés et argumentés, on ne peut s'empêcher de penser que certaines de ses prévisions relèvent du pur rêve – comme celles qui concernent les intelligences artificielles ou, encore plus folles, l'immortalité...

Mais le plus discutable restent encore les conclusions de l'auteur quant à la démocratisation de ces technologies – conclusions du reste assez typiques de cette espèce de « naïveté » propre aux esprits scientifiques dont la « logique pure » leur fait souvent perdre de vue les passions qui sont pourtant le propre de l'être humain. Car il n'y a aucune raison que les nanotechnologies ne tombent pas dans la juridiction de la propriété intellectuelle comme c'est le cas pour toutes les autres technologies, y compris celles qu'on peut répliquer à volonté – c'est-à-dire les logiciels informatiques.

De plus, les recherches concrètes dans le domaine démontrent bien que les choses ne sont pas aussi simples que l'affirme Drexler, même si les avancées sont quotidiennes et nombreuses. Pour plus d'informations sur ces difficultés, ceux d'entre vous qui sont à l'aise avec la langue anglaise s'intéresseront à l'article Six Challenges for Molecular Nanotechnology, du physicien Richard A. Jones, qui présente une liste concise des principales critiques du monde scientifique vis-à-vis des idées avancées dans ce livre.

Pourtant, le plus ardu restera encore de convaincre le public de l'utilité des nanotechnologies. Public dont l'opinion, comme chacun sait, reste tributaire des expositions des médias – c'est-à-dire ces journalistes qui la plupart du temps ne connaissent rien, ou si peu, des sujets dont ils traitent, le plus souvent à l'emporte-pièce d'ailleurs, et surtout quand il s'agit de technologies de pointe. Il faut bien que ces gens-là remplissent leur assiette après tout.

Ainsi, et bien que les nanotechnologies offrent en effet des risques à la hauteur de leurs possibilités phénoménales, et s'il s'agit certainement d'un des plus grands défis de ce siècle, la tâche la plus colossale de ses concepteurs reste la même que celle de tous les inventeurs qui les ont précédés au cours de l'Histoire des sciences et des techniques : la faire accepter par ceux qu'elle doit servir...

Notes :

La préface de cet ouvrage est de Marvin Minsky, spécialiste mondialement reconnu de l'intelligence artificielle, et l'introduction de Bernadette Bensaude-Vincent, historienne et philosophe des sciences qui enseigne à l'université de Paris X-Nanterre. La traduction est de Marc Macé, qui à l'époque de ce travail préparait une thèse sur les neurosciences à l'université Paul Sabatier de Toulouse ; la révision de cette version a été confiée à Thierry Hoquet, maître de conférence à l'université de Paris X-Nanterre qui enseigne la philosophie de la biologie et des sciences naturelles.
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le 7 mai 2011

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