Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
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le 23 oct. 2022
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Lauréat du Prix Espiègle 2020 des bibliothèques scolaires du primaire
"Enterrer la lune" est le genre de petit roman dont on voit qu'il a de l'impact sur les gens, car il reçoit beaucoup d'attention en librairie jeunesse comme à l'extérieur de celle-ci. Si ce n'est pas via les professeurs, c'est via son éditeur ( Au Québec, c,est la maison La Courte Échelle) et récemment, il a été le sujet d'un Pod Cast pour la littérature jeunesse. C'est également le Lauréats du Prix jeunesse des libraires du Québec 2021 pour la catégorie 6-11 ans. Bref, c'est un roman qu'on ne présente plus!
Dans le village de Latika, quelque part dans la campagne indienne, parler de "toilettes" et tout ce qui s'y réfère est tabou. Pour éviter d'avoir à faire ses besoins, on préfère ne pas boire, même à l'école par temps chaud. L'école ne possède pas de toilettes. Les femmes et les filles vont "au toilettes" sous le couvert de la nuit, soit tôt le matin ou tard le soir, et ce qui leur fait office de toilettes...et bien, c'est plutôt un champs, à dire vrai. Un champs en retrait du village où les scorpions sont tapis. Quand aux filles menstruées, elles sont tout simplement retirées des écoles, puisqu'elles ont pas de toilettes où changer leurs serviettes sanitaires ( ça c'est si elles en ont). Avec ses mots simples, Latika nous parle de tout cela. Du tabou autours des besoins naturels. De sa sœur intelligente retirée de l'école dès l'apparition de ses règles. De sa grand-mère affaiblie, piquée par un scorpion, dans ce même champs où elles vont faire leurs besoins. Ce champs qui s'appelle "le champs de la Honte". Car, oui, en Inde, déféquer et uriner semble honteux. Quand un ingénieur arrive un jour à Paradam, son village, Latika observe les demandes des habitants à ce dernier, pour améliorer leur vie. On réclame un puits, on demande l’électricité, les garçons demande des balles. Les filles ne demandent rien. Personne ne parle de toilettes, pourtant. Comme Latika aimerait pouvoir montrer ce champs à cet ingénieur, à ce "bâtisseur de choses pratiques". À moins...à moins d'en devenir une?
Ce roman a une structure singulière, avec des courtes phrases montées en vers, sans en être réellement. On croirait lire des haïkus. On a donc rapidement terminer le tout, vu le peu de mots par pages. Et certaines sont occupées par des illustrations, très jolies par ailleurs. Elles sont colorés sans traits noirs, brossées par endroit ( on voit le coup de pinceau) et dans une palette essentiellement violette, rose et noire. Elles sont douces, un brin naïves, avec beaucoup de rondeurs. On a donc une sorte d'hybride entre l'album et le recueil de poésie.
Côté histoire, certes, il y a moins de mots qu'un roman standard, mais il y a beaucoup à dire. Déjà, l'Inde est un pays pauvre qui ne possède pratiquement aucun système d'égouts et donc très peu de toilettes. Ce n'est pas le seul pays a en subir les conséquences, qui sont de l'ordre de la santé publique. L'exposition aux matières fécales augmente considérablement le risque de maladies, ça on s'en doute. Ce qui est peut-être moins intuitif pour nous autres, occidentaux ayant la fine pointe des salles de bain, habitués des rouleaux triple épaisseurs, c'est que sans toilettes, c'est aussi la sécurité des femmes qui est compromise. De la même manière que les menstruations , les besoins naturels des femmes les obligent à sortir des villages. Ainsi, elles s'exposent aux dangers du aux animaux et insectes, en plus des maladies.
L'aspect sanitaire n'est pas le seul heurt en ce qui concerne les femmes de L'Inde. On le verra de manière assez évidente, mais naître fille dans ce pays relève pratiquement de la malédiction. Les filles ont moins de valeur que les garçons. Leurs besoins sont donc d'autant moins importants. Ce qui est cependant quelque peu flou dans le roman est le fait que tout mâle soient les hommes, ça ne les épargne pas des besoins naturels. On aura évoqué la "Honte" comme un problème de femmes, mais au final, où vont les hommes pour leurs #2? Pourquoi empêcher les filles d'aller à l'école pour une simple histoire de toilettes puisque c'est aussi un problème pour les garçons? Cette partie là est un peu restée dans l'ombre et j'aurais souhaité qu'on l'aborde, précisément pour comprendre pourquoi les femmes sont désavantagés par rapport aux hommes.
La Lune, il faut l'aborder, c'est le sujet du roman après tout. La lune est mal perçue par notre héroïne, parce qu'elle éclaire la nuit, et comme leurs "besoins naturels" sont "honteux", vaut mieux être à l’abri dans l’obscurité. Ce n'est pas "la lune" a proprement parler que veut enterrer la jeune fille. En réalité, devant l'inertie des habitants face au problème et à l'arriver de matériaux de construction pour faire le puits, Latika entend prendre les choses en mains en bâtissant une toilette. Pour ce faire, il faut creuser...pour enterrer la honte.
Ce qui est remarquable dans cette histoire est la ténacité et la lucidité de la jeune fille, qui a moins de 12 ans. Plutôt que de se laisser convaincre par les autres, elle prend le pari de croire en sa propre vision des choses, qui est, je le signale, bien plus logique. Pour Latika, il faut "en parler", pour que les filles de 12 ans ne soient pas condamnée à vivre recluse sous prétexte qu'il n'y a pas de toilettes à l'école. Pour Latika, il est impensable que des femmes prennent le risque de se faire piquer par des scorpions ou pire, agressées par des hommes ou blessées par des attaques animalières. Et j'ajoute qu'il est malsain de ne vivre que de jalousie féroce, du genre que développe Latika pour les garçons, libres et sans honte. Bref, ce n'est pas parce que des croyances existent qu'elles font foi de tout et ne nécessitent pas parfois d'être revues. La croyance que les besoins naturels sont tabous peut ( et doit) passer par plus d'éducation. Malgré les invectives et les insultes, Latika s'est tenue debout et a cru en son projet. Une jeune fille tenace et débrouillarde.
En résumé, "Enterrer la lune" est un roman sur l’iniquité sanitaire mondial et de son impact particulièrement sévère sur les femmes et les filles. Mais le fatalisme ne menant nul part, c'est à coup d'idées et de dialogue que la situation pourra évoluer positivement. Il est également important pour nos jeunes vivant dans les pays industrialisés de prendre conscience de leur privilège de ne même pas avoir à se soucier de choses aussi basique que les "toilettes". Pourtant, la moitié des humains sur Terre n'en dispose pas. Un roman qui fait réfléchir et qui est porteur d'espoir, soutenu par de belles illustrations et facile d'accès d'un point de vue de lecture.
Si vous souhaitez lire une autre œuvre sur la précarité sanitaire féminine, je vous suggère le documentaire illustré "Naître Fille", d'Alice Dussutour, qui aborde, entre autre, la stigmatisation des femmes et filles menstruées, obligées d'aller s'isoler dans des cabines, exposées aux dangers, durant tout le temps de leur durée. Les menstruations sont aussi un sujet tabous qui isole les femmes et les empêche d'aller se scolariser.
Pour un lectorat du troisième cycle primaire, 10-12 ans en montant.
*Retrouvez gratuitement le balado documentaire Les inégalités entre les hommes et les femmes, imaginé en lien avec cet album et issu de la série audio À l’écoute!, produite par La puce à l’oreille au www.lpalo.com.
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Créée
le 2 avr. 2023
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