Il me fallait pour aborder le deuxième chapitre du troisième livre des essais de Montaigne (dans la collection folio classique) m'intéresser un minimum à sa vie. Montaigne dans ce chapitre m'y a encouragé – bien que Dany Laferrière, auteur haïtien new-yorkais français que je découvre en parallèle, pourtant fieffé lecteur de Montaigne, m'ait vanté la semaine dernière par écrans interposés l'inestimable valeur d'ouvrir et de lire le livre d'un auteur dont on ne connaît rien – et c'est tout comme s'il m'avait forcé, Michel pas Dany, la main vers Wikipédia. Ici qui touche l'un [l'ouvrage], touche l'autre [l'ouvrier]. Celui qui en jugera sans le connaître, se fera plus de tort qu'à moi : celui qui l'aura connu, me satisfera complètement, nous dit-il, Michel, dès la deuxième page du deuxième chapitre, et bien qu'il ne soit jamais tout à fait hérétique en quelconque ouvrage de passer à l'as les indications de lecture, il est compliqué dans le cas de Montaigne, qui met manifestement tant d'efforts à se livrer à nous honnêtement, d'une honnêteté qui dépasse presque en profondeur celle du dictionnaire, il est compliqué de ne pas lui faire la faveur de suivre ses recommandations. Car aussi libres aimons-nous être en matière de littérature, il nous semble déjà au deuxième chapitre que malgré ce qu'il en dit, Montaigne nous propose ensemble de vivre un type de méditation qui exige une certaine science. Science, ou art, bien intime, j'en conviens, quoique science, ou art, quand même.


Actuellement en train de me tuer l'échine à comprendre la théorie mathématique des catégories, et plus particulièrement celle des topos qu'elle inclut et que je suis à dix mille lieues de pouvoir ne serait-ce qu'aborder, et ce, qui plus est, pour aider un sombre et simple inconnu, à m'en faire cramer la rétine sur des vidéos YouTube de professeurs passionnés forcément loufoques qui trouvent tout cela bien logique, je n'en ai compris en termes de traîtres mots que celui de Parodie, qui dans le langage mathématique possède comme dans le langage courant un sens bien à lui. Il a en effet dans ce domaine le sens de la perte d'information. Le carré voyez-vous en mathématiques est la parodie d'un cube. Et c'est bien la parodie d'une vie qu'il nous semble toujours avoir sous les yeux lorsqu'on en parcourt les grandes lignes sur une page Wikipédia. La parodie même peut se réduire à un point si vous vous débrouillez bien, au terme de plusieurs parodies consécutives si nécessaire ; c'est l'équivalent, si vous voulez, du simple nom d'auteur marqué à l'offset sur une couverture.


Ainsi, peut-être pouvons-nous considérer qu'il en va de même de l'être, et tout autant pour chacun dans sa manière de se voir, autant que dans la manière qu'ont les autres de le voir. Moi par exemple, de la page Wikipédia de Michel de Montaigne je n'ai retenu qu'un simple doublon Mathématique, un couple de singularités dirions-nous en physique, deux particules, c'est déjà trop, deux phonèmes en linguistique, un mot : otium.


Qu'est-ce que l'otium ? L'otium est une forme d'art, ou de sciences : disons pour couper la poire en deux qu'il est une forme d'artisanat, et pas n'importe lequel. L'otium est un terme latin qui recouvre une variété de formes et de significations dans le champ du temps libre. C'est le temps durant lequel une personne profite du repos pour s'adonner à la méditation, au loisir studieux. C'est aussi le temps de la retraite à l'issue d'une carrière publique ou privée, par opposition à la vie active, à la vie publique. C'est un temps, sporadique ou prolongé, de loisir personnel aux implications intellectuelles, vertueuses ou morales avec l'idée d'éloignement du quotidien, des affaires (negotium), et d'engagement dans des activités valorisant le développement artistique ou intellectuel (éloquence, écriture, philosophie). L'otium revêt une valeur particulière pour les hommes d'affaires, les diplomates, les philosophes ou les poètes. Sénèque loue les mérites de l'otium et le considère comme la caractéristique de l’homme vraiment libre, mais en ajoutant qu’il est bon de le consacrer à un rôle social ou politique dans la cité (Wikipédia).


En voilà un beau mot, otium, qui sublime bien comme il faut l'artisanat dans lequel j'excelle comme on pourrait se complaire dans une seconde nature, qui n'est autre que celui de bien se toucher la nouille. Et si dans cette expression vous focalisez comme je le pressens sur le mot nouille, il est de mon devoir en contrepartie de souligner le mot bien ; parce que, nombres de chômeurs de longue durée en témoigneront, il est une durée au-delà de laquelle se toucher la nouille devient un vrai travail duquel on serait prêt à peu, mais c'est déjà beaucoup, pour démissionner.


Sans vouloir trop m'étaler sur mon cas, que nous parodierons au statut d'assisté bien volontaire, ou de rentier bien obligé, je pratique depuis trois ans toutes ces activités délicates que l'otium associe bien joliment au tripotage de nouille bien consciencieux, joliment de la même manière que l'on pourrait dire mettre la viande dans le torchon pour aller au lit, et y dormir. Pour peu que l'on sache mettre les formes et la manière, la belle glande devient élitiste.


Et si nous parlons de nouilles et de gland au féminin, c'est d'une part parce qu'il y a dans l'otium quelque chose qui tourne autour du zob, au sens littéraire de l'inspection de l'ego, et d'autres part pour bien associer à cette activité idéalement très individuelle toute sa dimension universelle, ainsi que sa dimension de plaisir…


Et pour vous en convaincre, je me permets de vous résumer, forcément mal, de manière oserais-je dire parodique au sens mathématique du terme, le passionnant chapitre 2 du livre III des essais de Montaigne.


Chapitre deux : du repentir


Prenons le problème à l’envers, c’est un peu comme ça que Montaigne le prend dans ce chapitre de toute manière, et laissons-le nous expliquer en quoi lui-même considère sa propre nouille bien touchée, et la considère en cela bien légitime. Et puis nous parlerons concrètement du repentir, puisqu'un bon touchage de nouille selon Montaigne prévient du repentir, et qu'un repentir bien prévenu favorise le bon touchage de nouille. C'est un cercle vertueux.


Mais d’abord, la nouille : tripotage et légitimité.


Légitime parce que Montaigne dans la peinture qu’il fait de soi considère peindre bien plus. Chaque homme porte la forme entière, de l’humaine condition, dit-il, or dans ce chapitre peint-il surtout une manière de peindre, et donc une manière d’appréhender la réflexivité, intimement liée à la mutabilité, des choses, des êtres, de soi et donc de tous, il faut penser la peinture pour peindre le mouvement. La constance même, n’est autre chose qu’un branle plus languissant. Je ne puis assurer mon objet [Montaigne lui-même]. Il va trouble et chancelant, d’une ivresse naturelle. Je le prends à ce point, comme il est, en l’instant que je m’occupe de lui. Je ne peins pas l’être. Je peins le passage : non un passage d’âge en autre […] mais de jour en jour, de minute en minute.


La réflexivité est chose compliquée si l’on embrasse la mutabilité ; chaque phrase de Montaigne sonde un esprit toujours en mouvement, le sien, comme tout est toujours en mouvement, comme les esprits les êtres et les choses… cela semble vertigineux ? En effet, d’où le nom d’Essais. Si mon âme pouvait prendre pied, je ne m’essaierais pas, je me résoudrais. D’où l’idée du tripotage, plus que légitime donc.


La question est de savoir en quoi l’otium permet vraiment et plus qu’autre chose selon Montaigne un bon tripotage de nouille en règle. C’est là que la notion de repentir entre en jeu, et avec elle l’idée de s’en garder.


Il aborde ainsi l'idée d'un moral de l'âme, un feeling peut-être pourrions nous dire en anglais. Il y a certes, je ne sais quel congratulations, de bien faire, qui nous réjouit en nous-mêmes, et une fierté généreuse, qui accompagne la bonne conscience. Une âme courageusement vicieuse, se peu à l'aventure garnir de sécurité, mais de cette complaisance et satisfaction, elle ne peut s'en fournir. Ce feeling est en danger si l'individu ne cherche ne serait-ce qu'à aider l'autre, ou du moins à obtenir une reconnaissance ou quelque autre effet chez l'autre : de fonder la récompense des actions vertueuses, sur l'approbation d'autrui, c'est prendre un trop incertain et trouble fondement.


Dans notre monde fou qu'il est – Montaigne qualifie son siècle de siècle gâté– vouloir se rendre utile à l'autre, il en parle dans le premier chapitre, cela pervertit l'honnêteté ; ainsi de quoique soit capable la raison, la repentance couve chez l'homme publique, même chez les plus juste. Le vice, écrit Montaigne, laisse comme un ulcère en la chair, une repentance en l'âme, qui toujours s'eggratine, et s'ensanglante elle-même. Car la raison efface les autres tristesse et douleurs, mais elle engendre celle de la repentance.


(Nature jaillissant et s'exprimant à force, contre un long usage)


Le rapport à l'action, dans l'otium, est économe ; la réalité est alors source de restriction, la décision de l'acte est prise en âme et conscience, âme et conscience toutes deux les plus entières possibles.


Je restreins bien selon autrui mes actions : mais je ne les étends que selon moi.


L'idée donc pour Montaigne, pour être honnêtement bien avec soi-même, satisfaction ultime selon lui car qui préserve au mieux de la repentance, est d'agir à l'extérieur de manière à le moins possible nuire dans l'intimité la coexistence de l'honnêteté et de la complaisance.


Revenant à mon cas cela dit, puisque c’est tout de même le principe de la nouille que de parler de soi : récemment, non pas que je culpabilisasse dans l'absolu à l'idée de bien me toucher la nouille quelques années supplémentaires, bien au contraire, il me fallut paradoxalement si je voulais continuer à me complaire honnêtement dans l’intimité, au moins un peu, de nouveau mettre les mains dans un cambouis collectif, du genre que je m'étais juré d'oublier, d'ordre administro-logico-éthico-militant. De me consacrer comme le disait Sénèque à un rôle social ou politique dans la cité, aussi humble soit mon rôle (à noter d’après la parodie Wikipédia, à laquelle je donne beaucoup de crédit, que Montaigne ne semble jamais avoir lâché son implication politique…).


Il était par le sort venu le temps pour moi d'être aspiré de mon otium vers le monde complexe et systémique, et crevant, des compromis ; compromiscuitant monde crevant (?) car les mots y sont des grenades impétueuses, que je n'ose pas souvent lancer.


Il n'est personne, s'il s'écoute, qui ne découvre en soi une forme sienne, une forme maîtresse, qui lutte contre l'institution, et contre la tempête des passions, qui lui sont contraires.


Je me soigne ainsi, me découvrant de nouvelles qualités inconnues, négatives et positives, tâchant maladroitement de ne pas [satisfaire] par là à bon marché les autres vices naturels, consubstantiels et intestins, je jouis un maximum de ma jeunesse dans ce cadre, et me touche la nouille dès que je peu c'est-à-dire pour l'instant encore très souvent, et attends avec impatience la naissance sur mon front des premières rides. Je dis vrai non pas tout mon saoul : mais autant que je l’ose dire. Et l'ose un peu plus en vieillissant : car il semble que la coutume concède à cet âge, plus de liberté de bavasser, et d'indiscrétion à parler de soi.


Je suis aujourd'hui attentif aux limites de ce que je puisse faire, et le repentir, ne touche pas à proprement les choses qui ne sont pas en notre force, à la différence du regret, au-delà de nos limites en effet il y a automatiquement souffrance viscérale, telle que la repentance ou à moindre coût le regret, et c'est dans ce compromis, parce qu'il nous amène par définition au-delà du cadre, au-delà des limites pour une cause, pour une forme de foi, que se joue selon moi tout l'engagement du militantisme.


Montaigne sur la fin aborde un passionnant travail d'imagination que je serais bien en mal de résumer mais dont je m'apprête à vous parler tout de même :


je ne regarde pas, quel il [tel ou tel sujet] est à cette heure, mais quel il était, quand j'en délibérais. […] Il y a des parties secrètes aux objets qu'on manie et indevinables : en particulier en la nature des hommes : des conditions muettes, invisibles, inconnues parfois du possesseur même : qui se produisent et éveillent par des occasions survenantes. Si ma prudence ne les a pu pénétrer et prophétiser, je ne lui en sais nul mauvais gré : sa charge se contient en ses limites


Cette méthode d'imagination permet je trouve davantage d'instants quasi-sereins,
or je vois bien plus clair en temps serein.

Vernon79
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le 23 août 2018

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