Paru en 2013 aux Etats-Unis, et en 2014 en France aux éditions de l’Olivier (traduction de Marc Anfreville), ce roman n’est rien d’autre – ou plutôt rien de moins - qu'une fresque de la vie d’un homme, Philip Bowman, héros indécis transporté à dix-huit ans dans les batailles aériennes et navales du Pacifique contre le Japon, et devenu par la suite un éditeur adorant son métier, avec en arrière-plan l’Histoire américaine, depuis la seconde guerre mondiale jusqu'à une période très récente.
«Il se demandait comment il se comporterait au combat, tandis que tous deux fixaient cet océan étranger et mystérieux, puis le ciel qui commençait déjà à s’éclaircir. Le courage, la peur et la façon dont on se conduirait dans le feu de l’action ne faisaient pas partie des choses dont on parlait aisément.»
Installé à New-York au retour de la guerre, Philip Bowman va embrasser la profession d’éditeur, gagnant la reconnaissance et le respect dans ce milieu plutôt difficile à pénétrer.
«Les grands éditeurs ne sont pas toujours de grands lecteurs, et les bons lecteurs font rarement de bons éditeurs, mais Bowman se tenait quelque part au milieu. Souvent, tard dans la nuit, quand la ville dormait et que le bruit de la circulation s'était évanoui, il restait à lire. Vivian était déjà allée se coucher. Il ne gardait qu'une lampe sur pied allumée près de son fauteuil, et un verre à portée de main. Il adorait s'absorber dans sa lecture avec pour tout compagnon le silence et la couleur ambrée du whisky. Il aimait aussi manger, rencontrer des gens, parler... mais lire était un plaisir toujours renouvelé. Ce qu'étaient pour d'autres les joies de la musique, les mots sur une page l'étaient pour lui.»
Même si on suit en filigrane à travers ce parcours l’évolution d’un monde du livre en transformation et qui va perdre de sa superbe, la grande affaire problématique de la vie de Bowman est ailleurs : c’est de rencontrer l’amour parfait. À plusieurs reprises, il croira atteindre enfin cet idéal, avant que le passage du temps ne le ternisse.
«Ils s’éveillèrent dans la lumière d’un monde neuf. Elle était exactement telle qu’elle s’était endormie la veille, mais ses lèvres paraissaient plus pâles et ses yeux moins brillants.»
Ce roman, où l’intensité fugace de la vie, des transports amoureux, et leur éclat différent, plus profond avec l’âge, sont impressionnants de justesse, constitue une fresque élégamment composée, d’un grand classicisme, peut-être sans grande découverte, mais dont la force est surtout que, comme dans la vie, les années passent et glissent sans que le héros, et avec lui le lecteur, n'en prennent vraiment conscience, sauf quand un événement historique, ponctuant le récit, nous ramène à cette réalité du temps qui passe.
Méditation d’une douceur inexplicable sur le passage du temps, l’imperfection de la vie et sur un monde en train de disparaître, ce livre n’est rien d’autre, finalement, qu’un très bel hommage à la littérature.
«Il arrive un moment où vous savez que tout n’est qu’un rêve, que seules les choses qu’a su préserver l’écriture ont des chances d’être vraies.»