Parce qu’il est mort, qu’il photographiait en noir et blanc un Paris disparu et qu’il a désormais acquis une petite célébrité, on s’imagine qu’Atget a un jour été d’avant-garde. (C’est une sorte d’inverse de l’« effet Victor Hugo » : on croit que Hugo a toujours été vieux car ses photos les plus connues le représentent chenu et barbu.) Or, et ce livre le montre bien, Atget n’a jamais été de son temps, mais du temps encore d’avant : « Ce qui frappe en revanche [dans ses photos], c’est l’absence de vues typiques et l’évacuation des indices de modernisme dans la métropole parisienne » (p. 25).
Il est ici question du Paris : Eugène Atget de Taschen dans sa version 30 × 24 centimètres, et la taille importe. Non pas que les photos d’Atget manifesteraient des qualités techniques imposant qu’on les regardât une par une en grand format – c’est même plutôt le contraire –, mais je crois qu’elles exigent une forme d’immersion. Et même si un spécialiste peut non seulement reconnaître une photo d’Atget, mais aussi, probablement, analyser l’ensemble de son esthétique à partir d’un seul cliché, le livre – qui s’adresse moins au spécialiste qu’au curieux – permet d’en saisir les caractéristiques.
Et il doit bien falloir deux cent cinquante pages pour rendre justice à ce goût du détail qui n’est pas un sens perfectionniste du détail mais un réel intérêt pour tout ce qui semble minime ; ce décalage dans le cadrage ou l’angle, quasi systématique et qui rend vivants même les clichés sur lesquels il n’y a personne ; la tentation de développer une histoire, qui est sans doute ce qui me fait aimer la photographie mais qui avec Atget est exacerbée ; l’impression – que je n’arrive toujours pas à m’expliquer – de profonde solitude qui se dégage de l’œuvre du photographe, même sans en connaître la biographie (qui d’ailleurs est ici aussi développée que possible).
On peut démystifier, et d’ailleurs l’éditeur garde les pieds sur terre : « Ce qui est apparu à de futurs exégètes comme une métaphore par excellence de la fugacité des choses, de l’engloutissement de la matière et du temps par la lumière, est très clairement dû aux insuffisances de son matériel de prise de vue » d’Atget (p. 33)… Mais ici la mise en contexte et la démystification n’ôtent rien au charme.

Alcofribas
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 15 août 2019

Critique lue 49 fois

1 j'aime

Alcofribas

Écrit par

Critique lue 49 fois

1

Du même critique

Propaganda
Alcofribas
7

Dans tous les sens

Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...

le 1 oct. 2017

30 j'aime

8

Le Jeune Acteur, tome 1
Alcofribas
7

« Ce Vincent Lacoste »

Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...

le 12 nov. 2021

21 j'aime

Un roi sans divertissement
Alcofribas
9

Façon de parler

Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...

le 4 avr. 2018

21 j'aime