Cette Expérience sur l’obéissance et la désobéissance à l’autorité constitue en 1965 le premier rapport écrit, par son auteur, de l’expérience de Milgram. Peut-être pas une expérience célébrissime, mais suffisamment fameuse pour que je ne revienne pas ici sur son déroulement.
Sur le texte, en revanche, il faut signaler qu’il est finalement assez succinct – une cinquantaine de pages, qui au moins permettent de dissiper quelques malentendus : « Beaucoup de gens, ne sachant pas grand-chose de l’expérience, affirment que les sujets qui allument tous les interrupteurs électriques du générateur sont des sadiques. Rien de plus sot que cette généralisation sur le caractère de ces personnes » (p. 80). J’imagine que la monographie que Milgram a publiée quelques années plus tard, Soumission à l’autorité, est plus fournie, mais elle est épuisée.
Évidemment, ce rapport est écrit / traduit dans un style dégueulasse : je continue à me demander ce que veut dire « décidé au niveau verbal » (p. 67). Avec certaines phrases dans lesquelles on qualifiera de légère l’utilisation de certains mots : « Un sujet normal ne tremble pas ni ne transpire s’il ne se sent pas réellement impliqué dans une situation épineuse, qui l’affecte profondément » (p. 70).
Il y a, pour le reste, quelque chose de touchant à lire ceci (p. 67) : « Peut-être notre culture n’offre-t-elle pas de modèles adéquats pour la désobéissance », écrit en 1965, et cela : « Ces résultats […] suggèrent qu’il est impossible de compter sur la nature humaine ou, plus exactement, sur le type de caractère produit par la société démocratique américaine pour préserver ses citoyens de la brutalité et des traitements inhumains que pourrait ordonner une autorité malveillante. […] Reste évidemment la question de savoir si une institution politique malveillante pourrait naître dans la société américaine. » (p. 84-5)…
La récente réédition « La Découverte poche » ajoute à l’article de Milgram une préface et une postface instructives, quoique la première soit un peu longuette et fasse doublon par avance quand elle évoque en détails le déroulement de l’expérience. Quoi qu’il en soit, ces deux textes ont pour eux de proposer quelques pistes pour analyser les implications morales de ladite expérience : « comment mettre en cause la moralité des agents sur des bases expérimentales immorales ? » (p. 108), par exemple.
De fait, la morale n’est pas le moins crucial des enjeux posés par la psychologie sociale – j’aurais même tendance à penser que celle-ci est un synonyme moderne de celle-là… Et finalement, au-delà de l’expérience elle-même, c’est la discipline elle-même qui peut amener des interrogations, notamment autour de l’éternel jeu – au sens où deux pièces d’un mécanisme peuvent jouer – entre acquis et inné, ou entre dynamique et structure, ou entre action et situation, ou entre psychologie et sociale.
En pratiquant avisé, Milgram le sait, qui affirme qu’« En fin de compte, ce qu’il manque à la psychologie sociale, c’est une théorie probante des situations, qui offrirait d’abord un langage permettant de définir les situations, qui en établirait ensuite une typologie et indiquerait enfin la manière dont certaines de leurs propriétés définissables se transforment en forces psychiques chez l’individu » (p. 82-83).
P.S. : Désolé pour le jeu de mots du titre de cette critique, j’étais en panne sèche.