De la ferme familiale du Bic, village de la province de Québec, à la ville, Marie-Hélène Voyer compose dans ce premier recueil paru en 2018 aux éditions La Peuplade une traversée poétique des lieux, de la ruralité de l’enfance à l’âge adulte qui est aussi une plongée dans les souvenirs et une quête intense des émotions tissées dans la mémoire des lieux.
La première partie, Ferme familiale, Les épivardages évoque l’enfance et ses jeux, mais aussi la peur et les dangers dans la ferme, le regard des parents et de celui de la petite fille sur la femme adulte… La ferme et ses alentours n’apparaissent pas ici comme des lieux idylliques mais comme des endroits alternativement ludiques ou terrifiants, parfois d’un grand ennui, des lieux plein de contradictions chargés des sensations si intenses et changeantes de l’enfance. La poésie de Marie-Hélène Voyer saisit avec force et justesse les petits faits étincelants de l’enfance.
ÉPIVARDAGES
C’est pas dépestables, ces bêtes-là !
On a joué avec les allumettes, flambé les quenouilles, mis le feu aux nids d’hirondelles, cassé les œufs du poulailler, mis des grenouilles dans la moulée, lancé des flèches aux corneilles, construit des pièges à renard (broches à poules, clous rouillés, verre brisé), enfermé le chat le chien dans la niche, noyé les sauterelles, grillé les araignées (briquet, loupe), dansé sur les poussins tendres, bardassé les poules, déplumé les oies, ligoté les veaux, libéré les vaches, effarouché les bœufs (lance-pierre, carabine à plomb), on a piétiné les plates-bandes, inondé le jardin, les trous d’siffleux, scié l’érable, cassé la scie, anéanti la corde de bois, saccagé le hangar, souillé la laiterie, dévasté la vacherie, ravagé le garage, on a lancé la clé du tracteur dans le baril d’huile à moteur, on s’est abreuvé aux vaches, on s’est gavée d’insectes de fruits de noix, on a déchiré nos robes légères, on s’est écorchées vives dans les framboisiers, on s’est fait des masques de guerre avec du sang de petites fraises, on a jeté nos poupées sur le tas de fumier
on s’ennuyait toujours.
Le village, Bic, village, Les élancements dit, sous forme de fulgurances poétiques les endroits du village et les premiers émois d’après l’enfance, car chaque lieu est chez Marie-Hélène Voyer une matière de mémoire et une manière d’être.
Les noms de villages ou de lieux-dits et le vocabulaire québécois ancrent la poétique dans les lieux et font résonner pour le lecteur un autre langage poétique où l’on ressent la jubilation des jeux avec les mots et les sonorités ; un petit lexique en fin de recueil permet de comprendre ce que veulent dire par exemple Enfant de nanane (chenapan) ou Garrocher (lancer, balancer).
Si Marie-Hélène Voyer maîtrise l’art du fragment, Expo habitat est beaucoup plus qu’un assemblage mais bien une trajectoire et un transport, le transport des émotions et celui de l’enfance à l’âge adulte où nous emmènent les Routes, autoroutes, boulevards, Les voyagements. L’âge adulte est celui des Villes, banlieues et des enfargements. S’enfarger c’est le fait de trébucher ; trébucher en ville loin des lieux de l’enfance. Marie-Hélène Voyer fait exploser avec sa poésie des visions de la vie urbaine moderne, dure et uniforme – une uniformité et une violence qui chargent la langue de mots creux et dissolvent la langue de l’enfance.
En ville
le ciel n’est jamais noir
comme chez le loup.
L’aventure d’Expo habitat débouche sur les Territoires et échappées, Les effarouchements ; il s’agit de trouver un horizon, de savoir comment habiter le monde dans les égarements de l’âge adulte. On s’éloigne aussi du réel ici, pour plonger plus profondément dans l’invention littéraire de ce recueil fulgurant.
ÎLE AU MASSACRE
Je marcherai sur les pistes
ténues de ton front
dans les vasières aspirantes
de tes matins en friche
tu auras un goût de salicorne
et d’oiseau tiède.
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