Le fait est avéré depuis la nuit des temps : les hommes ne sont pas faits pour le bonheur. Déjà, c'est bien connu, les gens heureux n’ont pas d’histoire. Sérieusement, pourrions-nous imaginer Œdipe, Faust, Hamlet ou Othello heureux ? Ou encore, concevoir un monde sans guerre, une existence sans voisins envahissants, sans conjoint acariâtre ou patron irascible ? Ben voyons : avouons que dans cet Eden improbable et rêvé, il est plus que certain qu'on s’embêterait fermement! Non! Comme l’affirme l’auteur avec humour, il n’est pas tout simplement pas possible de se passer du malheur : nous en avons salement besoin !
Alors bien sûr, nous pourrions laisser faire le hasard et attendre benoitement que notre existence soit minée par la maladie, ruinée par les crises économiques, ou encore démolie par les catastrophes naturelles. Mais avouons-le, il s’agit là d'une attitude hautement spéculative, d'un comportement d'amateur qui ne nous garantit en rien que des moments de joie ne viendront pas furtivement ou même fréquemment perturber la désespérance à laquelle nous avons légitimement droit. Vous l'aurez compris, pour que notre malheur soit complet, intense et permanent, il vaut bien mieux que nous l’organisions nous-mêmes. Mais pour parvenir à maitriser parfaitement l’art de se pourrir la vie, nous aurons besoin d’un instructeur avisé.
C’est là que Paul Watzlawick entre en scène : dans ce petit manuel de coaching parodique, truffé d’exemples souvent hilarants empruntés tant à la littérature ou à la philosophie qu’à la vie courante, il démonte les mécanismes qui nous amènent inéluctablement à gâcher notre existence et celle de notre entourage. Pas à pas, il nous initie aux systèmes de pensée et aux comportements qui démolissent à coup sûr : la glorification du passé, les attitudes d’évitement systématique, la rigidité, l’entêtement à poursuivre des conduites inadaptées, le fait d’attribuer à la fatalité ou à autrui les raisons de nos échecs. Nous découvrirons aussi comment faire de la vie des autres un enfer en les plaçant dans des situations inextricables et perverses ou encore en leur demandant l’impossible. C’est ainsi qu’en quelques jours ou quelques semaines, voire quelques mois pour les moins doués d’entre nous, nous toucherons aux rivages du malheur absolu, zombies solitaires et se défiant de tout, du monde qui nous entoure comme du genre humain.
Dans ce petit ouvrage à l’humour irrésistible et mordant, Paul Watzlawick nous apprend qu’en définitive, c’est bien souvent notre vision névrotique du monde qui provoque les petites et grandes tragédies humaines. Rien n’est plus fort que les idées, aussi absurdes et illogiques soient-elles. Pour peu qu’on y croie et qu’on les entretienne, elles finissent par produire leur propre réalité: après tout, c'est en voulant échapper à ce qu'il pense être sa destinée qu’Œdipe finit par s'y précipiter. Pour être heureux, il suffirait de prendre le contrepied des attitudes négatives qui sapent notre existence. En définitive, comme l’affirme l’auteur, si la situation est désespérée, la solution est désespérément simple…
Note : le titre est une citation de Dostoïevsky, reprise par Watzlawick dans son ouvrage.