Au moment de la crise des subprimes, Freddie Mac et Fannie Mae possédaient ou garantissaient près de la moitié d’un marché américain des hypothèques, évalué au total à environ 12 000 milliards de dollars : «too big to fail» contrairement aux petits qu’on a laissé choir.
Les deux nouvelles de «Fannie et Freddie», paru en 2014 aux éditions Zulma, montrent, à l’encre noire et sur deux continents, le destin d’anonymes broyés par les tourmentes de la désindustrialisation et de la crise des subprimes.
«Jusqu’à quelle échelle nos vies peuvent-elles se réduire ?»
Personnage central du récit éponyme, Fannie semble d’entrée de jeu légèrement inquiétante, sans doute à cause de cette raideur apparente du buste et du cou dont elle dissimule habilement la cause sous sa frange, un œil de verre. Cette raideur lui vaut le surnom de Minerve. «Déesse de la sagesse et de la fureur guerrière», Fannie se fait le bras armé d’une vengeance démente et meurtrière en réponse à la folie économique, une implacable descente aux enfers depuis le parking d’un immeuble de bureaux cossu de New-York jusqu’à Bethlehem en Pennsylvanie, une ancienne ville sidérurgique doublement sinistrée par la fermeture des hauts-fourneaux et la crise de 2008, dont l’ambiance rappelle le Piombino du roman «D’acier» de Silvia Avallone.
«Elle longe à présent une rue où toutes les maisons se touchent et se ressemblent. Des murs en brique, un étage, un garage. La seule chose qui les distingue est un écriteau «À vendre» à l’angle de certaines d’entre elles. Elle en compte cinq avant de tourner dans une petite allée qui la mène jusqu’au portail blanc d’un garage devant lequel elle s’arrête. En descendant de la Toyota, son premier réflexe, comme à chaque fois, est de porter le regard vers l’est : à quelques centaines de mètres se dressent les carcasses des hauts-fourneaux morts. Les voilà, les dinosaures.»
Ces deux mondes totalement étanches, même si l’un se nourrit de l’exploitation de l’autre, entrent en collision brutale dans cette novella à l’écriture nerveuse, huis-clos éprouvant quoiqu’assez attendu.
«Elle dit : Ces hommes ont forgé le fer et l’acier. Pour vous. Pour construire les buildings au sommet desquels vous trônez, là-haut, dans vos bureaux. C’est sur leur os, c’est sur leurs squelettes que vous vous êtes élevés. Et c’est sur leur ruine que vous continuez à pousser.»
Empreinte de tristesse, plus touchante et moins folle, la deuxième nouvelle, «Ceux qui construisent des bateaux ne les prennent pas», se déroule dans l’ombre des grues rouillées des chantiers navals de La Seyne-sur-Mer, ville de résidence de Marcus Malte. Ingmar Perhsson, inspecteur de police rongé par les remords, cherche à élucider la mort de son ami d’enfance tué d’un coup de feu sur la plage vingt-sept ans plus tôt. Convaincu qu’il ne s’agissait pas d’un accident mais bien d’un meurtre, Ingmar rumine les passés envolés de la ville et de son meilleur ami, tout en arpentant la plage des Sablettes, le crâne vrillé par des migraines qui le ramènent à sa tentative de rédemption, toujours inachevée.
«Je suis comme la ville : je n’oublie pas. J’ai perdu mon âme quelque part sur cette plage, il y a vingt-sept ans de cela. Depuis, je n’ai jamais cessé de chercher.»
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