C'est un grand moment que de lire une anthologie. On ne sait jamais trop comment les auteurs vont interpréter le thème. Et puis l'anthologie, c'est comme le recueil, on n'est pas obligé de tout consommer d'un trait. On peut y aller par petites bouchées, déguster, méditer. C'est avec cet état d'esprit que j'aborde cette nouvelle anthologie dirigée par Charlotte Bousquet. Une fois encore c'est chez CDS que paraît « Fauves et métamorphoses », et plus particulièrement, dans la collection Pueblos qui s'attache toujours à défendre une cause. Cette fois les droits seront reversés au Domaine des fauves du zoo des Abrets, car dans ce lieu hors du commun Marc Muguet a décidé de montrer aux visiteurs ce que sont réellement les fauves alors que nous nous arrêtons à la simple idée de la bête sauvage.

La préface d'Anne Berthelot nous indique déjà quelques pistes. L'homme n'est pas si éloigné du fauve, même s'il pense se tenir au sommet de la pyramide de l'évolution. Au fil de onze nouvelles, à la pointe de onze plumes, le fauve revêt les aspects les plus surprenants. Ainsi « La Mère » de M. B. Cras nous mène au cimetière d'un petit village. Là, on y enterre un homme, une bête sauvage d'après ce qu'on dit de ses crimes. Mais se tient devant la tombe la mère de ce criminel. Comment ose-t-elle ? Face à ces regards hostiles, à ces lois, à cette morale, il lui faudra du courage. Tout le courage d'une mère et tout cet amour pour cet enfant perdu sont peut-être les plus belles preuves d'une humanité qui ne se laisse pas vaincre par l'hostilité si confortable de la bien pensante meute. Un texte émouvant et tellement profond.

Pour « Impressions » de Maëlig Duval, ce sera un tee-shirt de prime abord bien innocent qui va déclencher une réaction étrange chez un adolescent. Une nouvelle surprenante dont la fin, plutôt anodine, laisse les perspectives les plus folles s'épanouir dans l'imaginaire des lecteurs. Un bel exercice. Nous retrouvons ensuite Li-Cam et « Le tigre de papier » qui nous emmènent dans un Japon sans âge où deux frères défendent leur village contre des yakusas avec leurs propres armes. L'un est chamane et est proche de la nature et de cette force qu'est le tigre blanc. L'autre est mort. Une nouvelle surprenante, pleine de fougue et de poésie. Un grand cru pour Li-Cam.

« Lionne des palustres » de Sophie Dabat est l'application à la lettre du thème « Fauves et métamorphoses ». En effet, Iku est une orpheline qui survit au milieu des autres habitants du marécage. Ils sont entourés d'une muraille que de redoutables léonins gardent. Son rêve est de chevaucher un jour une de leurs puissantes motos. Mais pour cela il faudra qu'elle prenne le sérum qui la métamorphosera en l'un d'eux. Ce sacrifice est-il si irraisonnable quand on connaît ses conditions de survie ? Une nouvelle étrange et dérangeante qui nous emmène dans un univers à l'imaginaire complexe et implacable. Christophe Cornillon nous propose de vivre un « Safari high-tech ». Ainsi, en 2038, lorsque le dérèglement climatique amènera des pays comme le Kenya à dépasser régulièrement les 60°C à l'ombre, il y aura toujours des occidentaux prêts à jouer aux viandards dans la savane. Cela se fera au détriment des populations locales, comme aujourd'hui. Heureusement qu'il restera encore des fauves pour remettre tout le monde sur un pied d'égalité.

Nous retrouvons Nicolas Cluzeau et son « Brytomarte » où il s'agit pour une guerrière de subir un examen bien particulier sous la houlette de deux chamanes. Dans les steppes, les loups sont attaqués. Notre guerrière va devoir se laisser porter par les pouvoirs du chamanisme afin de les sauver. Une belle histoire qui nous montre les limites de la vengeance et l'étendue infinie de la sagesse. « Bien des nuits sous le banian » de Tepthida Hay nous emporte à la fin du XIXe siècle au Cambodge où Gustave est celui qui a pris pour femme Vichara. Lorsque cette dernière a disparu, Gustave a décidé de se remettre aux esprits de la forêt pour la retrouver. Mais qui est donc cette femme ? Une courte histoire poétique où les fauves sont bien présents.

Patrick Eris et Nemo Sandman ont uni leurs plumes pour « Anima Mundi », une nouvelle où il est question d'écoterrorisme. Une nouvelle loufoque et jouissive. « L'Aigle empaillé » de Gabrielle Triest est une belle histoire de revanche entre trophées et viandard. Virginia Schilli nous fait emprunter des chemins inédits dans son « Okami ». Le chien au bout de la laisse peut parfois vous faire découvrir des choses inimaginables et peut-être vous sauver la vie. Une belle découverte. Enfin Franck Ferric clôture l'anthologie avec « Trois heures de maquis » qui nous démontre qu'en chaque écrivain en quête d'inspiration il y a un fauve qui sommeille.

L'anthologie se termine par une brève présentation des auteurs qui y ont participé ainsi que de l'illustratrice. Les grandes maisons d'édition oublient trop souvent de parler de ces travailleurs de l'ombre que sont les traducteurs et les illustrateurs sans qui les œuvres n'auraient pas la même saveur. Heureusement qu'il reste des maisons qui en parlent et savent leur rendre les honneurs. Sous la houlette de Charlotte Bousquet, cette anthologie a réussi à traiter du sujet sur différents tons. Une belle anthologie et une bonne action, nécessaire et même vitale.
Bobkill
7
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le 10 nov. 2010

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