Fissions
6.5
Fissions

livre de Romain Verger ()

La déflagration du récit est brutale, directement sur la plaie dès l’entame.
Le désastre a déjà eu lieu et le narrateur écrit, quelques heures chaque jour, et tente de comprendre, ou au moins de fixer les traces de cette destruction.

«Je prends les choses comme elles reviennent, dans le plus grand désordre, les attrapant à la gorge quand elles percent de ma camisole chimique. Ce sont tes cris, Noëline, le visage fêlé de tes sœurs ou la fosse emplie de nuit et de silence, les vœux du prêtre, pluies de riz et giboulées de roses, d’interminables routes entaillées dans le vide ou j’avance sans garde-corps, rasades de vodka, éclaboussures de sang, l’éblouissant crépuscule que dévore les crevasses.»

Romain Verger aveugle son lecteur, perdu dans l’incompréhension totale du drame qui s’est joué, et constatant ses traces, blessure, mutilation, médicaments, enfermement en hôpital psychiatrique … et, avec des cailloux blancs semés au fil des pages, l’horreur se révèle de cette soirée de noces qui a viré au cauchemar, avec cette écriture somptueuse au service de la monstruosité, comme une poésie de la souffrance au trait indélébile.

Dans un moment de dissolution de sa vie, rencontrant Noëline, le narrateur avait rêvé d’un amour idéal, d’une union de siamois. Écrivain ayant perdu le petit boulot qui le faisait vivre, il s’était retrouvé à brasser de la merde dans une déchetterie, envahi par la merde, incapable d’écrire, puis il était tombé sur Noëline, au hasard des clics d’un site de chat-roulette.

Leur mariage rapide, après seulement quatre mois, dans l’isolement d’une campagne fétide infestée d’insectes, auprès d’une belle- mère terriblement sadique qui ne fait qu’annoncer le reste de la noce, va virer au cauchemar. Dans cette foire aux monstres, le sol se dérobe, et on lâche la rampe du réel, et celle des certitudes tandis que l’on avance à tâtons vers la noirceur.

Romain Verger a brûlé le manuscrit de son livre et en a tiré de magnifiques photos qu’on peut voir sur son site, mais « Fissions » va continuer de nous brûler les yeux.
MarianneL
7
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le 20 mai 2013

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MarianneL

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