Dans tous les sens
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Que le premier mot de l’expression « conseiller financier » pose problème, on le savait. Que Damien Lelièvre, conseiller financier lui-même – ou conseillère financière elle-même ? c’est un pseudonyme –, évoque de l’intérieur différentes facettes de sa profession, c’est une bonne idée. Que cette profession soit à la fois un rouage et une victime d’un processus de déshumanisation du travail et de la vie dans les sociétés libérales, c’est une des lignes directrices de Force de vente (1).
Par rapport à un tract syndical, cet ouvrage d’une centaine de pages propose une réflexion un peu plus nuancée – cela ne veut pas dire molle – et un certain recul. Il a ainsi le mérite de replacer la micro-activité bancaire du quotidien – toi qui vas retirer de l’argent au distributeur ou qui ne comprends rien aux petites lignes de ton P.E.L. – dans son contexte général : « Le crédit, c’est la cocaïne de l’économie mondiale, ça dope la consommation en puisant aujourd’hui les ressources de demain. […] Et oui, les conseillers sont des salauds qui revendent cette saleté, et oui, c’est sûrement aussi la faute des clients qui ne devraient jamais s’en servir tout comme les drogués feraient mieux de ne pas se piquer. Mais les conseillers sont du côté des dealers et ils ont leurs contrats de performance à réussir sinon leur grossiste les tue » (p. 41).
La métaphore paraît brutale ? Possible, mais la finance et l’économie n’ont jamais été des échanges de caresses. Je n’ai pas plus de reproches à faire à l’employé de banque – la chaîne – payé pour fourguer des crédits à ses clients qu’au client – le boulet – qui estime indispensable de s’endetter pour acheter un portable à huit cents balles. Et comme à cet égard nous sommes tous des boulets, simplement plus ou moins lourds à l’origine… « Je vais te raconter ma vie de vendeur. Et j’aimerais aussi te parler de ta vie de client » (p. 8).
Pour l’essentiel, les réflexions présentées dans Force de vente ne devraient pas étonner beaucoup de monde. De quoi devenir aussi blasé que l’auteur, et peut-être aussi partagé que lui. Lire, sous sa plume, « mon souci est que je suis tellement endoctriné que j’ai du mal à savoir si je suis dans l’imposture ou le conseil, si je travaille pour les gens ou pour mes objectifs, pour avoir l’âme en paix ou la paix avec mon directeur » (p. 54), force à dépouiller l’employé de banque de son image de rond-de-cuir exclusivement et personnellement préoccupé de t’extorquer jusqu’au dernier centime.
Je ne sais pas pourquoi, je repense à Pasolini qui engueulait les étudiants de Mai 68 en leur expliquant que les flics sur lesquels ils crachaient étaient, eux, des fils de pauvres…
(1) Ce n’est pas la seule profession dans ce cas ? Bien sûr. Il me semble que n’importe quel de cadre prolétarisé (manager de chaîne de fast-food, enseignant, « cadre de santé », etc.) pourrait fournir des témoignages assez proches de celui de Damien Lelièvre.
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le 4 juil. 2020
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