Jean-Bernard Pontalis engage ici une réflexion sur ce lien féroce qui s’appelle paradoxalement la fraternité. Le sujet lui tient à cœur puisqu’il est lui aussi un « frère du précédent », victime finalement triomphante de la perversité de son grand frère (le seul Pontalis, c’est pour nous Jean-Bertrand). Mais l’histoire personnelle n’est évoquée qu’incidemment –éclats d’autobiographie– tandis que l’auteur réfléchit aux grands mythes qui structurent ce qu’il faut bien appeler « la frérocité ».
Les histoires de frères célèbres se succèdent (les deux Goncourt, les deux Proust, les deux Flaubert, les deux Champollion) mais aussi des épisodes de la vie d’amis ou de patients : dans des chapitres courts et sans lien apparent, s’interroge patiemment la nature de ce couple élémentaire où se rejoue depuis la nuit des temps le drame fondateur de Caïn et Abel. Que le problème soit aporétique, c’est ce qui se comprend aisément du projet lui-même, mais jamais on n’aura posé avec autant d’intelligence et de tendre lucidité le phénomène de l’amour et de la haine entre proches.
Mais c’est en fait la leçon que nous délivre l’ouvrage qui m’a le plus bouleversée : la complexité du monde psychique ne peut s’aborder que métaphoriquement, en faisant apparaître simultanément « le visible et l’invisible ». «La métaphore, écrit Pontalis, délivre de la mortelle répétition, elle délivre de l’enfermement. Elle anime, elle transfigure tout ce qu’elle touche. C’est elle qui ouvre le monde et m’ouvre à lui. » Et c’est comme si quelqu’un avait écrit tout spécialement pour conforter mon amour de la littérature, et même pour le justifier.