La Fricassée de Galantin (Edo-mumare uwaki no kabayaki, 1785) est un de ces fameux kibyôshi, petits livres illustrés à couverture jaune très populaires durant la période d'Edo.
Satires, parodies, caricatures truffées de jeux de mots et de calembours et d'aventures burlesques, brossant une peinture peu reluisante mais si amusante des mœurs et parfois de la politique de l'époque et qui plus tard subiront les sévices de la censure.
En l'occurrence, ici, le galantin, Enjiro, est une sorte de fils à papa apprenti dandy, de wannabe-Dom Juan, qui aurait trop lu de monotagari romantiques, écouté trop de chansons d'amour et qui va tenter de se fabriquer une réputation, comme aujourd'hui on se fabriquerait une image, de séducteur au cœur du grand quartier des plaisirs de Tokyo. Tout ça pour mieux se ridiculiser. Notre littérature aussi en regorge de ces miroirs déformants tendus vers le lecteur et ses contemporains. Des miroirs qui ont une nette tendance à diablement ne pas se ternir.
« Pourtant sa nature inconstante le porte vers les aventures galantes : il lui suffit de lire les paroles des romances en vogue pour envier le sort de Tamakiya Itahachi et Ukiyo Inosuke et se voir au cœur d'une de ces histoires brûlantes de scandale qui vous restent en mémoire tout le long de l'existence... Il ne songe plus qu'à tramer des plans ridicules, où il serait prêt à laisser sa vie, et le voila à la vie à la mort, parti sur ses idées fantasques !
– Si pareille chose m'arrivait... mazette ! que ce serait bien ! Ces gars-là sont nés sous une bonne étoile !»
L'édition des Belles Lettres cherche à conserver au maximum le lien ténu entre texte et image : ce sont bien des gravures, certes sans couleurs, certes un peu frustres, mais en dialogue constant avec le texte et des sortes de phylactères sans bulles, et c'est franchement à féliciter. [cf. l'actuelle expo Hokusaï du Grand Palais qui exhibe des dizaines et dizaines de ces kibyoshi et rechigne à nous en donner même simplement le thème...]. On pourrait alors reprocher une traduction qui cherche un peu trop à retranscrire les tournures familières par des expressions modernes et à transposer les jeux de mots même si les originaux sont expliqués, avec bonheur, en notes : ce qui est loin d'être systématique avec les traductions intrusives.
Car forcément ce genre d'exercice fait abondamment appel à des allusions culturelles, des références populaires – acteurs ou geisha célèbres, ritournelles populaires, textes classiques, peintres, poètes pastichés, dictons détournés, indices visuels – qu'il faut bien expliciter un tant soit peu pour en saisir toute la nuance et toute la drôlerie. A commencer par le titre qui joue entre une recette locale, la grillade d'anguille (unagi !), et l'homme frivole (uwaki).
Il faut espérer que les Belles Lettres chercheront à publier d'avantage de ces petits kibyôshi indiscutablement trop rares, Santô Kyôden ou autres. (puisque évidemment, comme pour les maitres de l'ukiyo-e, comme pour tout, les anglophones sont bien mieux lotis que nous.)