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Fumée
7.3
Fumée

livre de Ivan Tourguéniev (1867)

Litinov, héros du roman, attend sa fiancée Tatiana à Baden-Baden mais y retrouve son amour de jeunesse, Irène, dont il s'entiche à nouveau, faisant ainsi défaut à son serment. Irène jure de quitter Baden-Baden aux côtés de son vieil ami, mais perd courage et lui demande de la suivre à Pétersbourg et de lui rester fidèle. L'infidélité comprise comme manque à la foi dans le mariage et l'amour est d'abord chaste, se pressent dans la voix, le regard avant d'être signalée par un simple astérisque, ellipse qui montre combien le langage ne saurait retranscrire fidèlement l'union d'Irène et de Litinov. Mais si Litinov n'est pas fidèle en amour, il renonce à son existence pour un amour déjà perdu, et c'est envers lui-même qu'il manque de constance. Tout est détruit, déchiré, et sa mémoire même est infidèle, il doit recourir au substitut médiocre de la photographie pour rappeler Tatiana à son souvenir. Il frôle le départ vers Pétersbourg l'Occidentale et le déni de ses origines moscovites. L'unique solution serait alors le retour à la terre de son père qui avait été laissée en friche, et à la culture de celle-ci. Litinov, abandonné, ne peut expier son péché que dans la fidélité à la terre russe.

Infidélités amoureuses somme toute classiques, auxquelles s'ajoute un manque de foi plus grave envers la Russie. Le personnage de Potouguine (ami de Litinov, amant platonique d'Irène) critique en effet une Russie non authentique qui ne fait que reproduire les inventions de l'Occident, dans un médiocre rapport de copie et d'original. Tout est pourri en Russie selon Potouguine, qui reprend la figure d'Hamlet, ce qui constitue une trahison presque cruelle : l'exemple est emprunté à la culture européenne, non pas française, mais pire encore, britannique, l'incarnation du libéralisme. Les héros des légendes russes sont eux-mêmes pourris, comme on le constate dans le conte de l'homme qui périt pour avoir repoussé un crâne. La Russie semble dès lors s'enfermer dans un plagiat infidèle des valeurs de l'Occident, un pot-pourri stérile qui ne conduit la Russie ni sur la voie de la modernisation, ni vers celle de la civilisation. Goubariov, l'exemplum de l'intellectuel russe s'avère être un imposteur, et prend à l'issue du roman les traits d'une caricature grossière du propriétaire terrien barbare, alors même que le servage avait été aboli.

Tourgueniev lui-même sera d'ailleurs accusé d'infidélité à l'égard de la Russie, la quittant pour la France, lui semblant moins sombre et cruelle. Dostoïevski, outré par les propos de l'occidentaliste Potouguine, pourtant ami de Tourgueniev se moque de l'auteur sous les traits du « grand écrivain » pétersbourgeois, grandiloquent et précieux Karmazinov dans Les Possédés. Fumée témoigne ainsi du problème de l'infidélité à la patrie, en reconstruction et modernisation depuis Pierre le Grand, et qui pose problème dans la mesure où celle-ci passe par une occidentalisation (songeons au choix de Pétersbourg comme capitale.)

L'infidélité semble enfin prendre sa source dans le langage même, et notamment dans les sots bavardages entendus chez Goubariov, qui coulent mollement d'un sujet à l'autre et où le sort des moudjiks vaut la réputation d'une demi-mondaine. Mais plus grave encore est l'emploi abusif de mots étrangers, employés par l'aristocratie pétersbourgeoise en Suisse allemande. Le ressort à des expressions toutes faites, au cliché, au paraître semble fatal, dans la mesure où il souligne le refus de la langue maternelle, marque la rupture avec l'origine pour se tourner vers un Occident, qui est pourtant tourné en dérision.

L'infidélité semble donc avoir gangréné la Russie : infidélité des femmes, des hommes, de la russie, de l'Occident, tout n'est que Fumée.
Amélie
8
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le 24 juil. 2010

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Amélie

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