Étrange livre au premier abord. Rien que l’ISBN en 1 et le titre qui n’est pas vraiment défini : « Bosch », signale la couverture ; « Hieronymus Bosch et la Tentation de Lisbonne : Un point de vue du troisième millénaire », détaille la page de faux-titre, alors que la Tentation en question ne commence à être analysée en tant que telle qu’à la page 195 d’un ouvrage qui en compte deux cent cinquante, après toute une partie – pas la moins intéressante ! – consacrée à contextualiser la légende de saint Antoine. Entre-temps, la traduction a oscillé entre le quelconque et l’affreux, tandis qu’erreurs d’accord et coquilles demeuraient. Il faut me dire ce que signifie « Le XXe siècle vit le jour d’une nouvelle appréciation de l’artiste Bosch » (p. 79), comme il faudrait rappeler à la traductrice la différence entre isolation et isolement (p. 92) ou encore lui apprendre qu’en français, « Jacobus de Voragine » (p. 122) se prénomme Jacques et que the Tetragrammaton word ne se traduit pas par « le mot Tetragrammaton » (p. 169) mais plutôt par tétragramme (1).
Dans le meilleur des cas, cette écriture rend la lecture pénible ; dans le pire, elle l’empêche. De temps en temps, on voit ce que l’auteur voulait dire : « Le peintre faisait simplement ses propres associations, mais les images qu’il créait ne doivent pas être considérées comme si elles possédaient une signification objective dissociable de la création visuelle » (p. 215 ; c’est la tournure « considérées comme si » qui fout tout en l’air). Si on le compare à la Fourmilière éventrée de Pierre Sterckx, cet ouvrage-là montre à quel point un propos notionnellement complexe mais grammaticalement correct se révèle infiniment plus lisible qu’un style approximatif sur tous les plans.
Autre gros problème de ce volume : les reproductions d’œuvres. D’une part, certaines (principalement les détails) sont d’une qualité extrêmement mauvaise, à plus forte raison pour un livre d’art. D’autre part, elles ne suivent pas le texte, c’est-à-dire qu’il faut se rapporter à l’index, puis à des pages du livre souvent éloignées pour voir à quelle figure le texte se réfère. (En fait, les reproductions se succèdent dans l’ordre dans lequel les tableaux sont évoqués, mais il y a un décalage perpétuel entre le texte et l’image.) Même lorsqu’on connaît assez bien Bosch c’est pénible, quand on sait à quel point ses principales réalisations regorgent de détails.


Le premier chapitre présente une très succincte vue d’ensemble des interprétations auxquelles Bosch a donné lieu jusqu’à celle de Franger – le peintre comme artisan au service du « grand maître » de la Communauté du Libre Esprit –, réfutée sans trop de clarté dans le deuxième. Le troisième, « Franger et les suivants » – j’aurais traduit par « Franger et ses successeurs » ou par « À la suite de Franger », mais passons –, tire le bilan des « trois étapes dans l’interprétation de Bosch » (2).
C’est seulement ensuite, dans le chapitre intitulé « Une vue plus prosaïque », que Bosch est resitué dans l’histoire de l’art en général. À cet égard, les excursus vers Dalí ou les surréalistes me semble pertinents, tout comme il paraît justifié de dire que « si l’on considère l’histoire de l’art dans son ensemble, on s’aperçoit que de nombreux artistes ont violé la logique dans le traitement de la logique dans le traitement de leur sujet. Cependant, ils n’ont jamais existé en nombre suffisant à un moment précis pour former une école avant le siècle dernier » (p. 101). Mais il eût été plus judicieux encore de préciser comment il faut appliquer à la peinture de la fin du Moyen Âge des notions qui n’ont pas grand-chose de médiéval – la logique – ou dont le sens à considérablement évolué – une école.
Ensuite viennent les chapitres consacrés à la Tentation de Lisbonne, donc, dont l’un est – pourquoi ? pourquoi celui-là ? pourquoi à ce moment-là ? – structuré en sous-chapitres. Il s’agit principalement d’une description du triptyque, comme si le lecteur n’avait pas d’yeux pour voir. Or, ce qui serait déjà laborieux avec un portrait ou une scène de genre devient franchement pénible quand on parle d’un peintre qui a notoirement saturé ses tableaux de détails ; ça pourrait être un exercice de style : décrire entièrement un triptyque de Bosch en moins de cent pages… À cette ekphrasis se mêlent des rapprochements non moins laborieux avec l’alchimie – laquelle a ceci de commun avec les tarots (3) ou l’astrologie qu’elle permet, à défaut de les exiger, des rapprochements avec pratiquement toute œuvre plus ou moins fantastique.
Et comme c’est décidément un sacré foutoir que ce bouquin, l’auteure conclut benoitement par ce qui aurait constitué un assez bon angle d’attaque, quoiqu’un peu convenu : « Quels que soient les moyens employés par l’artiste pour produire des effets et que ceux-ci soient pleinement intentionnels ou non, il est certain qu’il voulait véhiculer l’idée du mal. En fait, on devrait toujours garder à l’esprit qu’il s’agissait là du thème principal du peintre » (p. 247).
Je crois que même un aveugle l’aurait compris.


(1) Cela dit, je ne jette pas la pierre à la traductrice, considérant qu’elle a traduit fidèlement un passage comme « ses révélations sur les croyances et les craintes de l’époque paraissent très proches des nôtres » (p. 14), dans lequel, grammaticalement, ce sont les « révélations » qui sont proches des nôtres, ce qui ne veut rien dire, alors que le passage produirait du sens si le sujet du verbe était « les croyances et les craintes ».


(2) « La première s’étendait du XVIe au XVIIIe siècle, lorsque Bosch était essentiellement connu pour ses peintures de démons et de l’Enfer […]. / La deuxième étape correspondait au XIXe siècle, lorsque les écrivains prirent conscience de l’artiste et du moralisateur Bosch et découvrirent des archives jetant sur sa vie une lumière plus pragmatique et plus normale en matière religieuse. Le XXe siècle vit le jour d’une nouvelle appréciation de l’artiste Bosch, en relation avec la peinture réaliste néerlandaise de genre et de paysages » (p. 79).


(3) Il y a d’ailleurs un passage consacré aux tarots dans l’ouvrage. Dommage que les cartes reproduites (p. 184-185) datent du XVIIIe siècle. Je ne connais pas grand-chose aux tarots, mais je crois savoir que c’est un outil dont l’utilisation a beaucoup évolué au fil du temps.

Alcofribas
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le 3 avr. 2018

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