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Le texte :
Mais il s’agit d’une photo de famille au sens élargi de la notion familiale. Celle des Hillbillies. Ou alors il s’agit plutôt d’un album photos complet. De la naissance du petit dernier à son mariage en passant par ses années d’adolescence, d’études, son job… J.D. Vance, le petit dernier en question, est un bon photographe : il n’omet aucun angle, aucun membre de la famille.
Les « photos de groupes », ou plans élargis, répondent régulièrement aux « portraits individuels », ou plans serrés. De la communauté Hillbilly en général aux cas (très) particuliers de sa famille, J.D. Vance ne fait preuve de complaisance envers personne. Et pour commencer, dans les nombreux selfies qu’il propose, il n’en a pas avec lui-même.
Rassurez-vous, ce livre n’est pas un album photos au sens premier du terme. Mais on en tourne les pages avec J.D. Vance qui, au fil des clichés, s’arrête sur telle ou telle scène, tel ou tel personnage et nous dépeint sa vie, avant tout chose – mais ne parle-t-on pas mieux de ce que l’on connait –, et à travers elle, de manière un peu (et je pense volontairement) caricaturale, celle de toute une population. En regardant toute une frange de la Rust Belt américaine par le petit bout de la lorgnette, on grossit forcément le trait, y compris ses propres travers. A telle enseigne qu’on peine au début à croire que le tableau peint par J.D. Vance ne corresponde qu’à la stricte vérité.
Il part de loin le petit J.D. Vance : un père absent, une mère alcoolique, violente puis dépendante aux médicaments, droguée… il y a des fondations plus solides. Heureusement qu’il pourra compter sur un terreau familial du côté des grands-parents, des tantes ou de sa sœur, un peu plus fertile. C’est d’ailleurs ce qui, avec le futur soutien de professeurs, fait la spécificité de J.D. Vance et ce qui lui a permis de sortir du cercle vicieux et infernal décrit plus haut (alcool/violence/drogue) et qui constitue en quelque sorte la gangue physique et culturelle qui emprisonne la communauté Hillbilly.
J.D. Vance ne se leurre ainsi pas sur ses propres contradictions : si tant est qu’il soit parvenu à s’extraire de sa condition initiale, celle-ci continue à faire partie de lui, il n’en a pas coupé tous les cordons, loin de là. Il aime d’ailleurs profondément la communauté à laquelle il n’a jamais cessé d’appartenir et à laquelle il refuse de tourner le dos. Quand bien même ne tarit-il pas de critiques sur sa propre famille et sur le caractère, souvent à la limite de la caricature, de cette communauté, quand bien même n’hésite-t-il pas à manquer de respect envers à peu près tout le monde sauf envers sa plus proche famille qui l’a poussé à s’en sortir (s’en sortir… pas sortir…) par rapport à ses camarades, on sent, malgré tout, tout l’amour qu’il porte à ses origines.
Ceci posé, c’est toujours facile de vouloir faire dire aux gens plus que leur idée initiale. Ce livre date de 2016 aux Etats-Unis, à une époque où personne peut-être encore ne voyait la montée en puisse de Donal Trump comme quelque chose d’inéluctable, sa victoire, construite de longue date, ne s’étant dessinée que tardivement. Si ce livre n’a pas vocation à analyser le vote américain pour Trump, il a été publié avant, il pointe malgré tout du doigt une réalité que l’élite politique et médiatique a occultée : si finalement, cette Amérique s’est droitisée, ce n’est pas tant par idéologie (même si elle sert de fondement à ce qui s’est passé pendant les élections) que par rejet justement de cette même classe politique et médiatique, jugée à juste titre hautaine et condescendante. J.D. Vance ne la rend d’ailleurs pas seule responsable de la situation dramatique de la Rust Belt. Les causes de la chute économique et sociale de la région sont autant à chercher à l’intérieur qu’à l’extérieur.
S’il ne faut pas à mon sens voir dans ce livre l’explication a posteriori de l’arrivée de Trump au pouvoir, peut-être faut-il y puiser la conscience que ce qui s’est passé outre-atlantique peut se répéter de côté-ci de l’eau… Réduire l’élection de Trump au rejet d’Hilary Clinton serait une erreur mais elle a joué un grand rôle, indéniablement. C'est aussi parce que Trump a su fédérer autour de sa personnalité, plus qu’autour de son programme, qu'il a pu être élu.
Il n’en reste pas moins qu’une importante frange de la communauté Hillbilly, traditionnellement attachée à des valeurs démocrates, s’est tournée au fil des générations, des grands-parents aux petits-enfants, en trois générations à peine, vers un vote républicain qui n’a pas l’air d’être totalement assumé.
J.D. Vance fait partie de ceux qui croient dans le rêve américain, dans l’ascenseur social, il en a lui-même bénéficié. Mais il fait aussi partie de ceux qui sont convaincus que c’est à chacun de faire bouger son propre ascenseur, qu’il ne bougera pas tout seul. En ce sens, cette autobiographie est symptomatique de l’individualisme de la société américaine. Tenter de vouloir expliquer une logique de groupe n’est pas ce que cherchait à faire J.D. Vance, il ne croit pas en cette idée de groupe autrement que par le prisme de l’appartenance à ce groupe. Le groupe est ce qui vous caractérise, ce qui vous récupère si vous chutez mais certainement pas ce qui vous permettra de vous en sortir : ça vous ne le devrez qu’à vous-même et au pire à quelques personnes de votre entourage.
Pour revenir à la métaphore photographique que nous filons ensemble depuis le début, ce livre fait office de bain révélateur, très intéressant au demeurant, plus que d’étude sociologique approfondie. Après tout son auteur est avocat, pas sociologue.