Évidemment, le projet qui consiste à raconter en un volume, fût-il de plus de mille pages, un bon millénaire de la riche et foisonnante histoire russe, entraîne à faire des choix, à insister sur certains événements, à en survoler à toute vitesse certains autres et même, sans doute, à en passer sous silence d'autres.
Michel Heller décide donc de prendre un parti : insister sur l'évolution politique du pays, raconter comment s'est fabriquée ce que l'on appelle de nos jours « l'autocratie », commet s'est développé le rapport si particulier entre le chef d'état et le pouvoir religieux orthodoxe, comment s'est imposée cette soumission silencieuse du peuple face aux atrocités du pouvoir (qui est vue comme une particularité de la population russe), etc.
Et là, il faut dire que les qualités du livre de Heller sautent aux yeux. Qualités narratives d'abord (le chapitre qu'il consacre, par exemple, au Faux-Dmitri, vaut bien des romans). Qualités intellectuelles aussi, surtout et avant tout. Tout au long de son livre, Heller fait preuve d'une rigueur à toute épreuve.
Sa méthode : s'appuyer sur les innombrables travaux d'historiens (et, parfois, de littérateurs) pour montrer les différents points de vue sur les événements (et noter ainsi la différence entre ces points de vue : entre un historien du XIXè siècle, un marxiste pur jus faisant rentrer les événements dans un cadre idéologique ou un post-soviétique eurasianiste, Heller met à jour comment l'histoire ne réside pas tant dans l'énumération des faits mais dans leur interprétation). Parfois, Heller donne son propre point de vue, parfois il a l'humilité d'admettre que l'absence de documentation ne lui permet pas d'avoir une vision claire et précise sur une époque ou un sujet.
Quoi qu'il en soit, ce livre constitue sans doute une référence pour ceux qui veulent avoir une première vue d'ensemble de l'histoire russe, depuis le IXè siècle jusqu'à la veille de la Révolution. Il permet, ensuite, de se diriger vers d'autres ouvrages (il en cite certains, dont,hélas, la majorité ne sont pas traduits en français).