Dans tous les sens
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
Par
le 1 oct. 2017
30 j'aime
8
Le site est de retour en ligne. Cependant, nous effectuons encore des tests et il est possible que le site soit instable durant les prochaines heures. 🙏
Si toutes les Histoires insolites avaient été du niveau des cinq ou six meilleures, le recueil eût été aussi bon que les Contes cruels. Or, s’il n’est pas mauvais, la satire y est souvent trop lourde.
C’est particulièrement le cas dans « L’Etna chez soi », qui, du reste, se perd en considérations sur la chimie qui semblent ne faire rire que l’auteur. D’autres contes sont à la limite : « Les Plagiaires de la foudre » ont au moins le mérite de se présenter comme un jeu, « Le Sadisme anglais » sauve la mise grâce au thème clairement turpide qui se cache derrière la satire assez épaisse, « Le Navigateur sauvage », « L’Inquiéteur » ou « Conte de fin d’été » sont juste assez longs…
Pour le reste, on retrouve le Villiers traqueur de bourgeois – plus que de l’esprit bourgeois, d’ailleurs. Ce n’est pas un hasard si, mises à part « Le Navigateur sauvage », qui ne relève d’aucune époque, et « Les Amants de Tolède », qui n’est d’ailleurs pas non plus la meilleure du lot, ces histoires se placent dans un cadre contemporain, quitte à ce que leurs personnages incarnent, à leur manière, l’ancien régime, sinon un vieux monde quelque peu suranné, à l’image des amateurs de whist d’« Un singulier chelem », « êtres nobles et simples, rares survivants d’une société disparue et qui demeuraient, quand même, des gens de jadis » (p. 247) – ou des deux provinciaux du « Conte de fin d’été ».
Certains textes sont aux frontières de l’article d’actualité, à l’image d’« Aux chrétiens les lions ! », réquisitoire, inattendu de prime abord mais pas surprenant après réflexion, contre le dressage des fauves. La chronique (?) est réussie car la nuance n’y est pas vaincue par la charge – à l’image de ce passage, qui pourrait d’ailleurs faire l’objet d’une leçon de stylistique quant à la façon de construire une phrase : « Dans la seule hypothèse d’une torture quelconque, et ne sachant jusqu’à quel point le veto de M. le Préfet de police pourrait suffire (corroborant même les avis antérieurs de sa judicature), je viens, tout bonnement, moi, passant obscur, placer les susdits lions sous l’égide, plus efficace encore, de la Loi ; – dont ils sont, d’ailleurs, l’emblème (surtout en cage). » (p. 307).
Que le caractère contemporain des Histoires insolites ne nuise pas, par ailleurs, à leur universalité, c’est ce que montre assez le seul titre d’« Aux chrétiens les lions ! » On retrouve cette universalité dans « Le Jeu des Grâces » (variante sur le thème de la danse macabre), dans « L’Agrément inattendu » (un fantasme de paradis caché), dans « Les Délices d’une bonne œuvre » (une femme charitable est punie de sa charité de mauvais aloi) ou dans « La Céleste Aventure », sorte de parabole autour du mythe du Juif errant.
Malgré tout cela, le recueil tournerait encore trop souvent à vide s’il ne faisait pas de place aux thèmes et aux procédés récurrents de Villiers : plaidoyers pour l’idéalisme (pesant dans « La Maison du bonheur », plus convaincants quand ils sont moins massifs), croyance en une réalité cachée (sous forme concrète dans « Un singulier chelem ! »), et mise en scène de personnages en proie à leurs manies.
Dans « Les Phantasmes de M. Redoux », la lâcheté foncière d’un notable de province (mais Parisien d’adoption) s’accommode mal de son goût pour le macabre. (Villiers partage ce goût – cf. « Ce Mahoin ! » –, mais c’est une autre histoire.) Quant au « Secret de la Belle Ardiane », que son nom porte en gestation mais sur lequel je ne m’appesantirai pas, par égard pour le lecteur, il place celle qui finit par le dévoiler dans la catégorie des sur-femmes de Villiers, qui ne sont pas cruelles par nature, mais le deviennent à force d’être résolues : « ce que je veux, je le veux », dit-elle à son mari (p. 254), et la tautologie porte ici son sens.
Pour une explication du regard que Villiers porte sur la chair, laquelle a toujours partie liée avec la cruauté, on lira avec profit « Les Amants de Tolède ». Là encore, je ne déflorerai pas l’intrigue. Je me contente d’en citer l’excipit, au cours duquel les personnages principaux, avatars de « Roméo et Juliette » de « dix-huit ans, seize ans sans doute » (p. 284), « vécurent, presque séparés, dans leurs appartements personnels, et moururent sans postérité, – car, s’il faut tout dire, ils ne s’embrassèrent jamais plus – de peur… de peur que cela ne recommençât ! » (p. 286).
Pour certains écrivains, on raconte toujours la même chose. En tout cas, ce que Villiers raconte le mieux, c’est souvent la même chose.
P.S. – Le titre de cette critique est un projet d’épigraphe de Villiers pour les Histoires insolites. Chouette, non ?
Créée
le 11 janv. 2019
Critique lue 136 fois
1 j'aime
Du même critique
Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...
Par
le 1 oct. 2017
30 j'aime
8
Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...
Par
le 12 nov. 2021
21 j'aime
Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...
Par
le 4 avr. 2018
21 j'aime